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quinze cents mètres de long ; des roches dentelées la surmontaient, et ses murailles se dressaient à pic, au-dessus des dernières pentes, sur une assez grande hauteur. La montagne entière dominait le plateau d’environ six cents pieds. Des pins et d’autres arbres couraient le long des pentes abruptes et s’arrêtaient à la roche verticale, s’élevant plus haut à deux endroits opposés, ce qui semblait indiquer deux passages par où l’on pouvait atteindre les sommets. Du reste, rien de plus charmant que ce plateau, véritable oasis, qui, sur deux côtés, se détachait dans toute sa fraîcheur d’un rempart de montagnes grises, tandis que vers la gauche le regard se perdait dans une ligne de mamelons sans fin et dans les horizons bleuâtres de Thiaret. En arrivant, nous vîmes les cavaliers de Sidi-Embarek s’éloigner vers le sud et de nombreux Kabyles s’enfuir le long les pentes boisées ; mais du sommet même du rocher nous venait un bruit confus, une agitation sourde ; par momens, de longs cris. De temps à autre, des Kabyles se montraient, et, chose singulière, des silhouettes de cavaliers, suspendues à des hauteurs en apparence inaccessibles, se dessinaient sur l’azur du ciel.

Les vingt-cinq chevaux, notre seule cavalerie, furent immédiatement lancés dans la direction du col, et les chasseurs d’Orléans, d’avant-garde ce jour-là, jetant leur sac, coururent appuyer le petit peloton de cavaliers. Deux autres compagnies balayaient les pentes à la baïonnette, pendant que le reste de la colonne s’établissait au bivouac dans les jardins. L’attaque se régularisa aussitôt. Le lieutenant-colonel Forey, du 58e de ligne, avec le 6e bataillon de chasseurs et quelques compagnies de son régiment, devait tenter l’escalade à la pointe est, où un chemin semblait praticable. Deux bataillons du 58e et le colonel d’Illens allaient monter à l’assaut en s’aidant d’une ravine qui se trouve aux deux tiers de la crête. Il était une heure environ ; un beau soleil faisait briller les armes, étinceler le rocher. Les soldats, heureux de se battre, allaient rapidement joindre leurs postes, sans s’inquiéter des longs cris et des menaces des Arabes, qui descendaient jusqu’à nous. Prêt à monter à cheval, pour se porter où sa présence serait nécessaire, le général se tenait au centre sous de grands arbres, donnant ses ordres avec sa précision et sa netteté habituelle. Nous étions auprès de lui, contemplant ce panorama magnifique, quand sur la droite des coups de fusil se firent entendre, se mêlant au son entraînant de la charge. Ce bruit de tambour ainsi battu répand dans les ames une puissance nouvelle, une ardeur inconnue. En ce moment, le général donnait ses dernières instructions au colonel d’Illens, qui allait tenter l’escalade. Quelques secondes après, la compagnie de chasseurs que nous avions vue tenir le bois de pins, échangeant des coups de fusil avec les Kabyles et se garant de son mieux des quartiers de roche que l’on roulait sur elle, passa pour rejoindre