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chargés de le protéger, coupant le pays sans route tracée, tantôt descendant les ravines, tantôt gravissant les escarpemens, fatigues épouvantables, dont la guerre et la sûreté de tous font une nécessité.

En pays ennemi depuis deux jours, nous n’avions encore rencontré personne ; c’était partout le calme du vide, le désert, lorsque tout à coup, face à nous, sur un piton qui commandait l’étroit sentier, nous vîmes cinq à six cents Arabes s’agiter et pousser de grands cris. La halte fut sonnée. Le général massa les chasseurs d’Orléans de l’avant-garde ; puis, le premier en tête, il partit avec eux pour débusquer l’ennemi. Se faisant un rempart des figuiers et des arbres qui garnissaient ce piton, les chasseurs d’Orléans l’escaladèrent au pas de course malgré le feu des Kabyles, qu’ils poussèrent bientôt dans les reins. Bon nombre de ces gens y restèrent, les autres reçurent une chasse vigoureuse, et nous revînmes avec un troupeau trouvé dans les bois, quelques tués, quelques blessés, mais c’est la guerre ! Pendant ce temps le convoi, ayant franchi le défilé après avoir passé un ravin, s’était établi prés du bourg des Beni-Doubouan. Les maisons de ce bourg, construites en bois et en pisé, ressemblent beaucoup aux cabanes de nos paysans de la Picardie. Elles sont solides, défient la pluie et les orages ; pourtant nos soldats en eurent bientôt raison, car ce bois sec avait moins de fumée et faisait de la meilleure soupe. Aussi, pendant deux jours, tandis que nous attendions les autres colonnes, plus d’une fut détruite, et toutes y auraient passé, si le colonel Picouleau et ses troupes eussent encore tardé.

Dans leur route plus longue et plus difficile, les deux colonnes commandées par le colonel avaient rencontré de nombreux contingens poussés au combat par les bataillons de Sidi-Embarek, et ramenaient un assez grand nombre de blessés. Le général Changarnier, pour alléger la marche, se décida à les renvoyer à Milianah, sous bonne escorte, avec le matériel inutile. Un singulier accident signala ce départ M. Laurent, officier de chasseurs d’Orléans, amputé la veille avait été placé sur une litière ; de l’autre côté, un homme atteint d’une fièvre pernicieuse, presque mort, faisait contre-poids. Au sortir du bivouac, après avoir passé le ruisseau et gravi une partie de la montagne, le convoi suivait un chemin très étroit dominant en corniche la ravine. Tout à coup le mulet de litière bute, s’abat, et l’amputé et le fiévreux roulent avec lui. Ce fut un long cri. Chacun de se glisser jusqu’au ruisseau pour porter secours. On arrive. Le mulet, tranquillement relevée, broutait paisiblement. Pour M. Laurent, le fer de la litière l’avait heureusement préservé, et il dut la vie à ce qui aurait tué tout autre. Tous les trois reprirent leur marche sur Milianah, tandis que notre colonne, forte de 2,800 hommes et de 25 chevaux,