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drapeaux des divers chefs slaves, au midi et au nord, se ralentit sensiblement. L’armée croate, qui s’était formée sous l’influence du sentiment national, se vit en quelque sorte frappée dans son principe constitutif ; elle ne montra plus la même foi dans l’idée pour laquelle elle combattait. Il ne manquait plus que la dissolution de la diète fédéraliste de Kremsier pour transformer la défiance des Slaves en hostilité sur beaucoup de points, et pour en faire en mainte, rencontre des alliés des Magyars.

La politique autrichienne eut de fâcheuses conséquences dans la conduite même de la guerre, dans les mouvemens stratégiques de l’armée impériale. De tout les hommes qui ont servi l’Autriche depuis la révolution de mars, le prince Windischgraetz, quoique décoré, comme Radetzki, d’un nom slave[1], est peut-être celui qui est le plus enraciné dans les vieilles traditions germaniques, et celui qui a vu avec le plus de mécontentement l’élévation soudaine de Jellachich. Le prince Windischgraetz est un des derniers types de ces vieux aristocrates impériaux qui ne connaissent que deux choses : le service de l’empereur et l’illustration de leur famille. On ne peut lui refuser un esprit d’une singulière ténacité ; mais son orgueil est plus haut encore que sa capacité militaire. Dès les commencemens de la campagne, il se trouva en opposition directe avec Jellachich. Leur dissentiment n’était point un secret ; il fut poussé au point que le cabinet en conçut quelques alarmes, et que Jellachich fut moralement obligé de déclarer, par la voie de la publicité, que jamais la bonne intelligence n’avait cessé entre lui et l’illustre général en chef de l’armée impériale. Le dissentiment n’en était pas moins réel : il portait principalement sur la question de savoir par quels moyens on couperait aux Magyars la retraite derrière la ligne de la Theiss. Le prince Windischgraetz était d’avis que l’armée magyare, n’ayant pu soutenir un seul assaut sérieux, serait entièrement désorganisée et dissoute par l’entrée des armées impériales à Bude-Pesth. Dans tous les cas, le prince ne doutait point que l’armée impériale ne pût victorieusement la Theiss et frapper les Magyars avant qu’ils eussent le temps de se reconnaître. Jellachich pensait, au contraire, dès l’origine, que le nœud de la question militaire était dans le passage de la Theiss, et que, si les Magyars parvenaient à se retrancher sur la rive gauche, ils réussiraient facilement à tenir tout l’hiver. Leur cavalerie prendrait alors tous ses avantages, tandis que l’infanterie et l’artillerie impériales courraient risque de rester empêchées, dès la sortie de Pesth, dans les boues qui séparent cette ville de Debreczin et

  1. Les mots winelisch et graotz signifient littéralement ville vinde, c’est-à-dire ville slave ou slovène. La Slovenie est la contrée comprise aujourd’hui sous la dénomination administrative d’Illyrie.