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le commandement très divisé, qu’une sorte d’anarchie ait régné entre les chefs de corps, sans que M. Kossuth possédât assez d’énergie pour leur imposer l’unité de sa direction Chacun prend en soi-même ses inspirations et marche à sa guise. Les ultra-Magyars, voyant avec mécontentement cette mission du député Dragos, poussent en avant un major Hatvanyi, qui est chargé d’observer le pays pendant que Dragos pénètre dans les montagnes. Ce Hatvanyi, dupe de sa propre imagination, voit de tous côtés des trames perfides ourdies contre la nation magyare ; il les dénonce au gouvernement et l’effraie. Ayant eu quelques querelles avec des maraudeurs, il transforme l’incident en une grande bataille, et il obtient d’entrer à Abrud-Banya, afin d’y surveiller la conduite de Dragos. Les représentans des populations valaques étaient assemblés pacifiquement pour délibérer. Le premier acte de Hatvanyi fut de faire saisir les deux chefs populaires Butiano et Dobra. Celui-ci fut massacré immédiatement par les Magyars, celui-la pendu quelques jours après. Batvanyi s’était retiré par prudence à la vue des colères que sa conduite soulevait, mais dans l’intention de revenir avec des forces suffisantes pour y faire face. Il revint en effet à la tête de deux mille hommes. C’était beaucoup moins qu’il n’en fallait pour résister aux multitudes armées qui accouraient des montagnes afin de venger leurs chefs. De ses deux mille hommes, Hatvanyi n’en sauva que quatre-vingts. Toute la population magyare d’Abrud-Banya fut passée par les armes. Le député Dragos, devenu suspect aux siens et accusé de s’être prêté aux projets de Hatvanyi, fut lui-même massacré par les Valaques. Les Magyars avaient les premiers donné l’exemple de ces effroyables hécatombes ; ils les renouvelèrent, par représailles, sur d’autres points où ils se trouvaient en force, et l’on ne saurait dire combien de villages valaques ont été ainsi anéantis.

En même temps que l’on avait conclu un armistice si promptement rompu, on avait proclamé une amnistie générale dont on n’exceptait que les voleurs[1], et, sous prétexte de brigandage, on instituait des tribunaux militaires, qui condamnaient à la fusillade ou à la corde quiconque leur portait ombrage. À la fin, Bem, revenu de son excursion dans le Banat, perdit patience et, agissant à son tour librement comme gouverneur de la Transylvanie, il lança une proclamation par laquelle il déclarait aux Magyars de la Transylvanie qu’ils s’étaient conduits comme des tyrans, qu’il avait horreur de leurs actes, et qu’il cassait leurs tribunaux militaires. Les Magyars trouvèrent et dirent tout bas que Bem était trop libéral. L’un d’entre eux, un ministre,

  1. L’évêque valaque Schaguna, qui s’était joint aux bourgeois saxons pour solliciter l’intervention des Russes, était aussi placé en dehors de l’amnistie.