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nombreux exils, ces cris d’effroi, ces multitudes désolées s’engouffrant et s’étouffant entre les rochers à pic et les précipices du torrent de l’Olto, en un mot tout ce spectacle de misère en un grand cadre agreste qui rehaussait son succès et entourait son nom d’une sorte de terreur. Ce qui ajoutait encore à l’émotion du général polonais, c’était le plaisir d’avoir battu des Rusées d’une si franche manière et le prestige que cette victoire lui assurait aux yeux des populations de la Transylvanie et de l’Europe.

Depuis que Bem était entré en Transylvanie, le petit corps qu’il commandait s’était peu à peu grossi ; il avait rencontré dans les Szeklers d’admirables cavaliers, les meilleurs soldats de la Hongrie, les plus enthousiastes à cause de leur isolement au milieu des Valaques et des Saxons, et les plus propres à la guerre actuelle en leur qualité de montagnards. Les Szeklers, qui ont la prétention d’être les premiers venus de la race magyare dans les contrées de l’Occident, les descendans en ligne directe des hordes d’Attila, avaient pris ardemment à cœur l’intérêt des Magyars de Hongrie. Lorsque les députés magyars de la diète de Transylvanie décrétèrent, contrairement au vœu des Valaques et des Saxons, la fusion de cette principauté dans le royaume de Hongrie, les Szeklers témoignèrent la joie la plus expansive et la plus bruyante de cet acte d’union qui les rattachait au noyau de leur race. De nombreux volontaires s’étaient enrôlés au premier appel du pays ; ils avaient rejoint l’armée magyare dans sa malheureuse campagne à l’ouest. Les régimens-frontières (Grœnzer), qui valent les manteaux-rouges de Croatie, avaient pris parti pour Kossuth, non moins cordialement que les frontières croates pour Jellachich. Le général polonais ne se borna point à lever des recrues parmi les Szeklers ; en rendant à toute leur tribu la liberté de ses mouvemens, il en fit comme un des corps auxiliaires de sa petite armée. Passionnés pour la cause des Magyars, les Szeklers devaient l’être aussi pour un chef dont la hardiesse répondait si bien aux allures de leur courage. Après la défaite des Russes et la prise d’Herrnanstadt, tout ce qui était d’âge à porter les armes dans le pays des Szeklers put être considéré comme faisant partie de l’armée de Bem.

D’autres auxiliaires lui vinrent de plus loin. Ses premiers succès avaient ému l’émigration polonaise. Inattendus et brillans poétisés par l’éloignement, embellis par la renommée, ils avaient flatté l’amour-propre national de ceux-là même de ses compatriotes qui tenaient pour impolitique la présence des Polonais en Hongrie. À plus forte raison, tous ceux qui, ne jugeant les choses qu’avec leur imagination, Prenaient au pied de la lettre tous les grands mots du moment, avaient-ils ressenti un vif enthousiasme à la nouvelle de ces rudes combats livrés par un général polonais à quelques lieues de la Gallicie. Chaque jour,