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agent des ambitions slaves. Cette crainte était chimérique ; néanmoins elle entretint pendant toute la durée de la guerre une certaine défiance entre les chefs magyars et leurs auxiliaires polonais.

C’est au mois de décembre 1848 que M. Kossuth se vit forcé de se rappeler les avances de l’émigration polonaise. Les affaires magyares en étaient arrivées à un point qui ne permettait plus de repousser ces avances, et l’intervention des émigrés polonais dans la lutte de la Hongrie contre les Croates ne tarda pas à être un fait accompli. Parmi les Polonais, beaucoup s’offrirent d’eux-mêmes : ce furent les radicaux et les officiers, qui voulaient la guerre pour la guerre. De ce nombre était le général Bem. Il ne fit point de conditions, car il comptait sur les circonstances pour obtenir ce qu’il attendait des Magyars. Il avait pleine confiance en leur libéralisme. Le général Dembinski, auquel les agens magyars à Paris firent des ouvertures, ne partit qu’avec l’espoir d’amener une transaction entre les Croates et les Magyars. Quant aux conservateurs et aux diplomates, tout en appuyant vivement l’idée de cette transaction, ils rejetèrent la pensée de continuer la guerre et de s’associer à l’insurrection magyare Ce qu’ils voulaient, disaient-ils alors, c’était une alliance de la Pologne avec la Hongrie entière, et non avec la race magyare, par un choix exclusif. « Un Polonais, ajoutait le prince Czartoryski dans une circulaire adressée à ses amis politiques, un Polonais ne saurait s’attacher exclusivement à la fortune de la race dominante en Hongrie, sans, forfaire d’une manière patente à ses devoirs de nationalité. »

M. Kossuth accueillit cordialement Bem, qui d’abord ne demanda que l’occasion de se battre. Dembinski arriva à son tour, sur de pressantes sollicitations, et se laissa séduire par de riantes et grandioses promesses. Ceux des conservateurs polonais qui crurent devoir porter aux Hongrois de sages conseils furent loin d’être aussi bien accueillis : le sentiment qui les attachait au slavisme les avait rendus suspects ; M. Kossuth les tint provisoirement à l’écart comme des ennemis.


II

Le général Bem eut le privilège de remporter les premiers succès qui aient signalé la guerre de Hongrie. Il avait obtenu le commandement de quelques milliers d’hommes, avec la mission de tenter la fortune en Transylvanie. C’était vers le mois de décembre, au moment où les troupes impériales, sous les ordres de Windischgraetz et de Jellachich, allaient pénétrer en Hongrie par la frontière de l’ouest. Vraisemblablement, Bem avait jugé que la position n’était pas tenable de ce côté ; il avait hâte de se rendre sur un terrain où un homme de sa nature, accoutumé aux faveurs de l’inspiration et du hasard, pouvait