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— Aristote, qui a prévu tant de choses, n’a pas pressenti la vérité sociale. Cuvier, dont on vante la sagacité, s’est vu obligé de rendre hommage au génie d’Aristote en histoire naturelle ; pour moi, qui suis aujourd’hui en pleine possession de la vérité sociale, en politique, Aristote ne m’inspire qu’une profonde pitié.

— Passons sur Aristote, reprit M. Levrault, de plus en plus impatient.

— La république de Platon, plus généreuse, plus grande, plus éclairée que la république de Cicéron, est cependant pleine de misères. Nous ne devons parler de Platon qu’avec respect, puisqu’il avait supprimé la famille. C’était un grand pas dans la voie de la vérité ; mais Platon s’est arrêté court après ce premier pas. C’est à moi que Dieu réservait la découverte de la vérité sociale.

— Arrivons à ton système.

— Moïse, dans le Deutéronome et le Lévitique, a émis quelques idées justes sur des points de détail ; mais ce législateur si vanté n’a jamais conçu une idée générale, applicable à l’humanité tout entière. Nous devons quelque reconnaissance à Salomon pour l’élasticité qu’il a donnée au lien du mariage

— Pour Dieu, s’écria M. Levrault, explique-moi la vérité sociale.

— Vous parlerai-je de Saint-Simon et de Fourier, race de charlatans dont la postérité trop nombreuse encombre le chemin de la vérité, connue les grenouilles après une pluie d’orage ? À quoi bon vous en parler ? Je les confondrais d’un mot.

— Je les tiens pour confondus, dit M. Levrault. Je ne te demande que la vérité sociale.

— Savez-vous pourquoi tous les gouvernemens sont condamnés à tomber, lors même que Marc-Aurèle reviendrait sur la terre ?

— J’avoue à ma honte que je ne le sais pas.

— Eh bien ! reprit Timoléon d’une voix grave, tous les gouvernemens ont péri parce qu’ils étaient gouvernemens. Pour éviter les malheurs sans nombre qu’entraîne la chute d’un gouvernement, quel qu’il soit, j’ai trouvé une méthode souveraine : je supprime le gouvernement. Quand ma formule sera maîtresse du monde, il ne sera plus permis, il ne sera plus possible de violer les lois, car je supprime les lois. Sur les ruines de toutes les législations, je fonde le règne de l’égalité absolue. Désormais on ne dira plus les hommes, on dira l’homme, car tous les hommes seront égaux en force, en beauté, en intelligence, en bonheur. Ni grands ni petits, ni riches ni pauvres, car tous les hommes auront la même taille, et tous les biens seront également répartis, puisqu’ils appartiendront à tout le monde. Je supprime d’un trait de plume toutes les passions, depuis la jalousie jusqu’à la cupidité. Quel tableau enchanteur ! quel monde de délices et de ravisse-