Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/1024

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui avait réduit toute sa vie à une seule pensée, pleurait amèrement la ruine irréparable de toutes ses espérances ; comme si la cour, en quittant les Tuileries, eût emporté avec elle sa grâce, sa beauté, sa jeunesse, elle croyait sa vie close, sa destinée manquée.

Cependant Timoléon réclamait avec instance les cent mille écus que lui avait promis son père. M. Levrault, avant d’ouvrir sa bourse, voulait connaître la pensée tout entière de Timoléon. Un jour donc que son fils revenait à la charge :

— Je tiendrai ma promesse ; mais, avant de te compter mes écus, je serais bien aise d’apprendre ce que c’est que la vérité sociale.

— Je vous le répète, mon père, vous ne pourrez pas entendre ce que j’ai à vous dire sans être foudroyé. Il y a si loin des préjugés grossiers au milieu desquels vous avez vieilli à la pensée sublime que je dois vous révéler, que je tremble pour votre raison.

— Eh bien ! répliqua M. Levrault, dussé-je être foudroyé, dût ma raison s’égarer, la curiosité l’emporte. Je veux connaître à tout prix la vérité sociale.

— Ainsi, dit Timoléon, vous voulez, comme l’aigle, regarder le soleil face à face ?

— Oui, répondit M. Levrault, j’y suis résolu.

— Rappelez-vous ce que je vous ai dit de la propriété, de l’héritage, de la famille. L’abolition de ces trois monstruosités nous mène directement à la découverte d’une vérité encore plus élevée. Mon système politique se résume en deux mots. Dans les longs loisirs que je dois au travail servile de mes frères, j’ai feuilleté les philosophes. Hobbes, vous le savez, conclut pour la tyrannie. Son opinion ne vaut pas la peine d’être réfutée. Montesquieu, infatué des idées anglaises, se prononce pour le gouvernement représentatif, c’est-à-dire pour une vieille machine usée qui vient de se détraquer sous nos yeux. Avez-vous lu le traité de Cicéron sur la république ?

— Jamais, dit M. Levrault.

— Tant pis, reprit Timoléon. Si vous l’aviez lu, vous sauriez comme moi tout ce que la république cache au fond de ses entrailles d’impuissance et d’absurdité. La formule de Hobbes, c’est-à-dire la tyrannie, est tout simplement un crime de lèse-humanité ; c’est un défi porté au droit, et je ne m’abaisserai pas jusqu’à discuter une pareille ineptie. La république, malgré tous les argumens entassés par Cicéron, est stérile pour la fraternité. Quant au gouvernement représentatif, si pompeusement vanté par Montesquieu, c’est un système bâtard, digne tout au plus d’amuser les beaux-esprits d’une académie : ni chair ni poisson. Je ne vous parle pas d’Aristotc ; sans doute, vous avez lu sa Politique.

— Il ne s’agit pas d’Aristote, mais de ton système.