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sonne d’un agent diplomatique est sacrée ; j’ignorais le sort des envoyés français de Rastadt.

— Mon bon ami, reprit Jolibois, la diplomatie républicaine n’est pas, comme la diplomatie monarchique, une vie de plaisirs, de causeries, d’oisiveté ; c’est une lutte aussi active, aussi périlleuse que la vie militaire ; ne le saviez-vous pas ?

— Je partirai, répondit M. Levrault avec la résignation d’une victime qui marche au supplice.

— À propos, reprit Jolibois, avez-vous songé à votre costume ? Le temps presse ; demain peut-être votre nomination paraîtra au Moniteur. Vous connaissez le costume des agens diplomatiques de la France régénérée ?

— Mon Dieu ! non.

— Pantalon collant, bottes à revers, gilet blanc à la Robespierre, habit bleu à basques flottantes, et, sur la poitrine, le triple symbole de la république, le bonnet phrygien, le niveau, deux mains qui s’étreignent : liberté, égalité, fraternité. Quant à la cotte de mailles, venez avec moi ; vous aurez pour cent écus celle que portait François 1er  à la bataille de Pavie.

Une demi-heure après, ils entraient dans un magasin du quai Malaquais. M. Levrault donnait cent écus sans marchander, et emportait sous son bras une cotte de mailles milanaise.

— Avec cette chemise, dit Jolibois quand ils eurent fait quelques pas sur le quai, vous pouvez dormir sur les deux oreilles ; à moins que les sicaires de la tyrannie ne vous frappent à la tête, vous n’avez rien à redouter.

En achevant ces mots, il serra la main de son compagnon et le laissa plus mort que vif, avec sa cotte de mailles sous le bras. Est-il besoin d’ajouter que la mission donnée à M. Levrault n’était qu’un joyeux tour de basoche ? Plût à Dieu que cette mystification eût été la seule bouffonnerie de ce temps-là !


XVII.

L’ambition de M. Levrault était satisfaite, il allait représenter la France dans une occasion solennelle ; mais sa terreur était au comble. Avant d’avoir goûté à la coupe des grandeurs, il regrettait déjà son obscurité, son arrière-boutique de la rue des Bourdonnais. Sans avoir lu les vers de Lucrèce sur le nautonnier qui, assis au rivage, contemple d’un œil tranquille le navire battu par la tempête, il comprenait déjà tout le prix du repos, toute la perfidie des espérances humaines. Abonné au Moniteur, il l’ouvrait tous les matins d’une main tremblante, et ne respirait à l’aise qu’après avoir interrogé d’un œil éperdu