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— Mon cher ami, dit Jolibois, je vous amène le candidat dont je vous ai parlé hier soir.

— Soyez le bienvenu, monsieur, reprit l’interlocuteur de Jolibois se tournant vers M. Levrault ; soyez le bienvenu, et causons.

M. Levrault, dont la vue se troublait, dont les jambes flageolaient, tomba plutôt qu’il ne s’assit dans un fauteuil.

— Étienne m’a fait part de vos intentions. Depuis long-temps déjà votre nom m’est connu ; vous n’êtes pas pour moi un homme nouveau. L’oubli où vous avez langui jusqu’ici n’est pas une des moindres fautes du gouvernement déchu. Si la famille d’Orléans eût placé sa confiance en des hommes tels que vous, elle ne serait pas aujourd’hui à Claremont.

M. Levrault s’inclina et ne trouva pas un mot à répondre.

— Il est vraiment incroyable que la monarchie n’ait jamais fait un appel à vos talens. Le ministre m’a parlé de vous hier dans les termes les plus flatteurs.

— Je ne me plains pas de la monarchie, dit M. Levrault, dont la langue se déliait enfin. Elle ne m’a rien offert ; mais je n’aurais rien accepté d’elle. Inébranlable dans mes principes, fidèle à mes convictions, j’ai attendu patiemment l’heure de la réparation.

— Je vous l’avais bien dit, s’écria Jolibois, le citoyen Guillaume Levrault est un républicain éprouvé. Ce qu’il pense, ce qu’il veut aujourd’hui, il l’a toujours pensé, toujours voulu. Ce n’est pas une girouette qui tourne à tous les vents.

— Grâce à Dieu, la république n’est pas aveugle comme la monarchie, reprit le prétendu chef du cabinet. Citoyen Levrault, elle sait ce que vous valez et va vous donner aujourd’hui une preuve éclatante de confiance. Le corps diplomatique a besoin d’être renouvelé avec discernement. Chaque mission veut un homme spécial, et celle que la république vous destine semble faite exprès pour vous. J’avais d’abord songé à vous accréditer comme représentant du commerce français auprès des villes anséatiques ; mais le ministre, au premier mot que je lui en ai dit, a repoussé bien loin cette proposition. Une mission commerciale au citoyen Levrault ! s’est-il écrié, y pensez-vous ? Ce qu’il lui faut, c’est une ambassade.

— Vraiment, dit M. Levrault, le ministre a daigné vous parler de moi en de pareils termes ?

— Je vous rapporte fidèlement ses propres paroles. Oui, a-t-il continué, c’est une ambassade qu’il lui faut ; mais quelle ambassade lui donnerons-nous ? J’ai disposé hier de Londres et de Vienne. Saint-Pétersbourg et Berlin sont à moitié promis. Madrid a trop peu d’importance ; croyez-vous qu’il accepte l’ambassade de Constantinople ? J’hésitais à répondre, n’osant m’engager pour vous, quand le ministre a