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faites-vous ? Ce qui arrive n’est pas précisément ce que vous attendiez. Si le comte de Chambord revient en France, vous pouvez prétendre à tout, grâce à votre gendre ; il est vrai que les dés ne sont pas aujourd’hui pour le comte de Chambord. Est-ce que vous boudez la république ? Pour moi, je n’ai pas à m’en plaindre ; elle m’a rendu justice. Je suis heureux de vous rencontrer pour vous faire mes adieux. Je pars demain ; je suis nommé consul-général dans l’Océanie.

— Consul-général ! s’écria M. Levrault ; quel titre avez-vous fait valoir pour obtenir ce poste important ?

— Le premier de tous les titres : détenu politique. Je gémissais dans les cachots de la monarchie, quand l’heure de la délivrance a sonné. La république me devait une éclatante réparation, et je l’ai obtenue : ma nomination a été signée hier au soir. Vous pensez bien que je ne compte pas m’en tenir là. L’Océanie n’est pour moi qu’un marchepied… Mais je vous quitte, mon cher monsieur Levrault ; je pars demain, et j’ai tant d’affaires à régler ! Si votre alliance avec les La Rochelandier vous attirait quelque méchante affaire, comme il est permis de le prévoir, n’oubliez pas que vous trouverez toujours en Océanie, au consulat-général, un asile assuré.

Cela dit, le vicomte Gaspard de Montflanquin fit une pirouette et s’éloigna d’un pas rapide. M. Levrault demeura cloué à sa place par l’étonnement. Consterné, humilié, il reprit à pas lents le chemin de son hôtel. Comme il passait devant la rue de Grenelle, il fut salué par maître Jolibois.

— Parbleu ! s’écria Jolibois en lui frappant sur l’épaule, je suis enchanté de vous rencontrer, j’ai un avis à vous donner. Dites aux La Rochelandier, s’ils retournent dans leur pigeonnier de Bretagne, de bien se tenir, de veiller sur leur conduite, car je suis décidé à ne rien leur pardonner, moi, Étienne Jolibois, commissaire-général de la république dans les départemens de l’Ouest. Tous les petits hobereaux qui voudront réveiller la chouannerie trouveront à qui parler, j’en réponds.

— Commissaire-général de la république ! s’écria M. Levrault avec stupeur ; c’est-à-dire, mon cher Jolibois, que vous voilà d’emblée quelque chose comme préfet ?

— Moi, préfet ? Allons donc ! Dictateur, mon cher, ni plus ni moins. Mes pouvoirs sont illimités ; je ne relève que de ma conscience. À mon arrivée, toutes les autorités sont suspendues. Les provinces que la république me confie n’ont d’autres lois que ma seule volonté. L’armée, la magistrature, sont à ma disposition. Si votre attitude, si votre langage me paraissent dangereux, s’il vous échappe une parole injurieuse pour la démocratie, d’un trait de plume, d’un signe de tête, je puis vous envoyer en prison, vous et votre gendre. Je suis la loi vivante,