Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/1002

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tempérament. Ils le croyaient. Osai-je dire que j’étais du nombre de ces hommes-là ?

L’événement a prouvé que nous appartenions au pays d’Utopie. Oui, nous rêvions ; mais nous rêvions l’ordre par la liberté, la liberté par le respect de celle d’autrui et par l’usage modéré de tous les droits, le progrès par la discussion et la transaction ; nous rêvions une ère pacifique, où l’esprit de conservation et l’esprit de changement se combattraient en se respectant, et où ils se persuaderaient que leurs luttes sans violence et leurs libres accommodemens sont le plus beau spectacle que puissent offrir les sociétés humaines. Nous nous trompions d’ailleurs en bonne compagnie, et notre rêve n’était pas nouveau. Le gouvernement constitutionnel apparut un jour à la belle intelligence de Tacite : il le salua d’un regret au passage, et en détourna les yeux comme d’une chose trop belle pour être possible. « Un système de république, dit-il tristement, formé du choix et de l’union des trois principes monarchique, aristocratique et populaire, est plus aisé à louer qu’à réaliser ; ou, s’il s’établissait, ce ne serait pas pour durer[1]. » Plus heureux que Tacite, nous avions vu la chose établie, et nous la croyions durable.

Si l’événement qui nous a réveillés si rudement n’a emporté qu’une vaine forme et n’a donné tort qu’à des rêveurs, nous nous en consolerons ; mais, quelque chose qu’on, mette à la place de la monarchie, n’en attendons aucun des biens promis aux pays libres, si nous n’imitons l’esprit politique de nos voisins. En république comme en monarchie, la liberté ne peut être protégée que par elle-même, et, encore une fois, il n’y a pas de liberté sans l’obéissance et l’esprit de sacrifice. Elevons-nous donc, par l’intelligence qui nous en révèle les avantages, à la résolution qui les fait pratiquer. L’obéissance sied si bien aux peuples libres ! Platon dit quelque part qu’elle est la vertu des cœurs généreux. Donner est la vertu qui vient ensuite. Soyons donc obéissant, donnons, et hâtons-nous.

Pour le devoir envers les petits, il ne souffre pas de délai. Nous n’y sommes pas novices, d’ailleurs. La France fait d’immenses sacrifices pour les classes ouvrières, et. Nous y mettons la grace française, et ce qui n’y gâte rien ; mais nous pouvons faire plus, ou faire plus efficacement ce que nous faisons. La charité anglaise est peut-être moins amiable ; elle a plutôt l’air d’un acte sensé que d’un mouvement de cœur ; mais elle est plus efficace. Il y a d’ailleurs une fort grande différence entre la charité individuelle et la charité érigée en institution.

  1. Delecta et iis (populus, primores, singuli) et consociata reipublicae forma laudari facilius quam evenire ; vel, si evenit, haud diuturna esse potest. (Ann., IV, 33.)