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SACS ET PARCHEMINS.

matin encore, je pouvais m’étonner que monsieur votre père en eût décidé autrement ; à cette heure, je le regrette.

— Madame la marquise, dit Laure avec empressement, mon père est moins coupable que vous ne pourriez le croire. Nous sommes étrangers dans ce pays. La personne qui s’est chargée de nous diriger dans le choix de nos relations ne nous a jamais parlé du château de La Rochelandier. Votre nom n’a pas été prononcé une seule fois à la Trélade depuis que nous l’habitons. Voilà une heure au plus que je dois au hasard de l’avoir entendu pour la première fois. C’est qu’à coup sûr le vicomte de Montflanquin ne vous sait pas de retour dans vos terres, autrement j’aurais peine à comprendre…

— Pardon, mademoiselle, reprit la marquise l’interrompant : est-ce que la personne qui s’est chargée de vous diriger dans le choix de vos relations serait par aventure…

— Le vicomte de Montflanquin, oui, madame.

— Je m’explique très bien, répliqua la marquise avec hauteur, que le vicomte de Montflanquin n’ait pas été tenté d’ouvrir à monsieur votre père les portes d’un château dont il n’a pas les clés. Mais, mademoiselle, ajouta-t-elle gaiement, si M. Levrault ne s’est présenté que dans les maisons où le vicomte a ses entrées, vous devez vivre ici dans une solitude à peu près absolue.

— Il est vrai, madame la marquise, que nous ne voyons pas beaucoup de monde, répondit Mlle Levrault, qui commençait à dresser les oreilles. Nous sommes à la Trélade depuis près de trois mois, et le cercle de nos connaissances se borne, jusqu’à présent, au vicomte de Montflanquin, au chevalier de Barbanpré et au comte de Kerlandec.

À ces mots, la marquise partit d’un éclat de rire si bruyant, qu’on eût dit un bruit de cascade. Elle se tordait dans son fauteuil, tandis que Laure la regardait d’un air embarrassé et ne savait quelle contenance tenir.

— Mille excuses, mademoiselle, dit enfin Mme de La Rochelandier, quand son accès d’hilarité fut un peu calmé : j’ai mauvaise grâce à rire devant vous des personnes que monsieur votre père reçoit dans son intimité. Cela ne m’arrivera plus. Promettez-moi seulement de ne pas juger de la noblesse de Bretagne d’après les trois échantillons que vous venez de me citer.

— Mais, madame la marquise, le vicomte de Montflanquin nous a dit que les maisons de Kerlandec et de Barbanpré ne le cèdent à aucune autre pour l’illustration et l’ancienneté, et j’aurais cru que le vicomte de Montflanquin lui-même représentait avec ces deux gentilshommes l’élite de la noblesse du pays ?

— Tenez, mademoiselle, parlons d’autre chose, répondit la marquise