Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/965

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La mort s’éloigna de miss Jane. C’est certain, elle n’aime pas à frapper ceux qui exercent en ce monde des puissantes dangereuses. Les jours de l’actrice cessèrent d’être menacés, mais on lui ordonna d’abandonner pour une année le théâtre. – Eh bien ! lui dit William, quand les médecins lui signifièrent cet arrêt, nous irons en Italie. Tu oublieras, comme je l’ai oubliée, la vie de l’art pour ne songer qu’à la vraie vie. Je suis enchanté que tu rompes avec cette existence de la scène qui mettait la fièvre dans ta pensée et dans ton sang. De la tombe qui t’a presque engloutie un instant, tu es sortie pour moi aussi pitre, que de ton berceau. Je veux te mener, comme on mène son épousée après un mariage, sous un ciel où l’amour se trouve pour ceux même qui ne l’ont pas emporté dans leur cœur.

Un de ces palais de Venise gais le matin graves le jour, amoureux et rêveurs la nuit, reçut lord Colbridge et miss Jane.


X.

Cependant miss Jane s’ennuyait ; voilà ce que découvrit Colbridge. Cet amour qui lui semblait suffisant à lui pour remplir une éternité, pour elle, ne pouvait plus remplir une heure. Ce n’était même point la scène qu’elle regrettait ; ce regret-là aurait été le moins cruel que pût renfermer son cœur pour l’amour-propre de Colbridge. C’était la vie du mouvement, de la liberté, du plaisir, des caprices assouvis, après laquelle elle soupirait. William se promenait le soir en gondole avec elle, il lui montrait les étoiles (que lui faisaient les étoiles ?) et les vagues (que lui importaient les vagues ?). Miss Jane aurait donné toutes les merveilles de ces nuits poétiques pour les joies d’un de ces soupers de Londres où elle faisait folie de son corps et de son ame

Un jour, avant l’heure du dîner, William se promenait seul sur la place Saint-Marc, l’esprit irrité, les nerfs malades, le cœur triste. Miss Jane avait passé dans un long bâillement toute sa journée. Il rencontra le duc Lionel de Norforth, qui accomplissait son dixième voyage d’Italie.

William n’avait pas vu Lionel depuis ce souper que lui avait raconté Scander. Le moment où reparaissait devant lui cet homme, dont le nom seul lui causait un mouvement de douleur et de colère, était particulièrement malheureux. Une querelle rapide eut lieu entre lord Norforth et lord Coleridge.

Le lendemain, on rapportait William à sa demeure avec une balle dans la poitrine. Il était fort près de la mort ; cependant le danger s’éloigna de lui. La balle fut extraite, mais il entra dans une de ces longues maladies qui suivent parfois les blessures d’armes à feu. Dans la fièvre qui ne le quittait presque jamais, il voulait toujours avoir entre