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VI

William alla passer un mois au bord de la mer. Il y a des gens qui, dans l’air des plaines, des prairies et des grèves, boivent l’eau du Léthé ; Simpton s’aperçut qu’il n’était pas de ces gens-là. L’image de miss Jane l’assiégeait comme certains fantômes assiègent les solitaires. Après de grandes courses sur les côtés, quand il se couchait le soir, espérant voir le ciel et les flots dans son sommeil, c’était le regard de miss Jane qui se fixait sous son front. Les songes paraient pour lui cette créature, dont le souvenir n’était déjà que trop attrayant en son ame, de ce charme aux longues et puissantes ivresses qu’ils répandent dans leurs scènes de volupté. Il lui fallait toute une matinée passé au grand air, sur le rivage, pour secouer les dangereux parfums de ses rêves. Lorsque, assis dans le creux d’un rocher, il regardait l’inquiétante étendue de l’océan, il se disait : Que me font tous ces espaces ? Deux baiser qui fermeraient mes yeux me donneraient plus de plaisir que ces lumineuses et frémissantes plaines. – Il était vraiment amoureux.

Un matin, il prit le chemin de fer, et grace à cette fantastique invention du génie moderne, qui met dans la vie comme dans l’ame les espaces solitaires auprès des lieux pleins de mouvement et de bruit, il se trouva à sept heures du soir devant le théâtre de Covent-Garden. Miss Jane jouait. William se mit dans un coin obscur de la salle. Il ne voulait être vu ni des spectateurs ni de l’actrice. Il était résolu à rompre avec le monde ; le spectacle de ce soir-là était une fantaisie qu’il se passait ; le lendemain, il comptait retourner dans la solitude Quand la pièce fut finie, une envie démesurée le prit d’aller voir l’actrice dans sa loge. Il se demanda, ce que se demandent parfois tout d’un coup ces gens aux idées bizarres ; violentes et malheureuses, qu’on nomme les songeurs, — pourquoi il augmenterait volontairement lui-même le nombre de ses souffrances. Rien ne l’empêchait d’entendre la voix de Jane lui adresser des paroles, de voir ses yeux le regarder ; à quoi bon s’enlever ce bonheur ? Quelques minutes après ces réflexions, il était dans la loge de l’actrice. Ce soir-là, comme d’ordinaire il y avait beaucoup de monde chez miss Jane, comme d’ordinaire aussi il y avait cohue dorée ; mais, dès que l’actrice aperçut William, elle interrompit sa conversation avec le prince de Nipperg, se leva, courut à lui, et l’embrassa presque

— Monsieur Simpton, s’écria-t-elle, qu’êtes-vous devenu ? Comment peut-on disparaître ainsi sans donner de ses nouvelles à ses amis ? Qui vous a enlevé ? Est-ce l’amour ? est-ce l’amour ? est-ce une créature de chair ou une créature de marbre ? N’importe pour quel objet vous nous ayez quittés, vous avez mal agi. Vraiment, ajouta-t-elle d’une voix basse qui