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pas amoureux de la comédienne. D’abord, quoique fort jeune et fort romanesque, il n’était plus cependant ni assez romanesque, ni assez jeune, pour partir, sur un regard, dans les pays de la tendresse comme un prince de contes de fées ; puis il s’était fait contre les liaisons avec les actrices tous les raisonnemens que peut se faire à ce sujet un homme qui a peu d’argent et beaucoup de dignité. Toutefois les yeux, le sourire et la voix de miss Jane étaient bien présens à son esprit, et il écoutait sans fatigue Peter Croogh lui raconter avec l’expansion d’un écolier à son premier amour maints détails sur cette ingrate beauté. Tous les deux, William et Peter, marchaient le long de la Tamise où se réfléchissait alors la plus romantique des lunes. — Oui, je suis convaincu, dit Peter, en levant tout à coup ses yeux vers ce monde si mystérieusement cher aux amans et aux poètes, qu’il y a eu de nuits où cet astre a pris pitié de moi. — Simpton réfléchit sur cette effrayante puissance de miss Jane qui donnait à Peter Croogh l’idée de songer à la lune.


III

Au jour et à l’heure qu’elle avait indiqués, miss Jane se rendit chez Simpton ; malheureusement, lord Damville l’accompagnait. Toutefois le sculpteur trouva rapide le temps de sa première séance. D’abord, il prenait un plaisir infini à contempler le visage qu’il reproduisait ; puis l’esprit de la comédienne le charmait. Ce n’était cependant ni un esprit élevé, ni un esprit profond que celui de miss Jane. On était même étonné de ne pas rencontrer dans la conversation de la grande actrice un sentiment plus original et plus vif de l’art qu’elle pratiquait si merveilleusement mais ce qui occupait et séduisait en elle, c’était une mobilité incroyable d’intelligence. Elle entendait tout d’une façon amusante ; il était une chose qu’elle entendait d’une façon sublime, c’était la coquetterie. Combien Célimène manquait de grandeur auprès d’elle ! Célimène auprès de miss Jane, que sais-je ? c’était le premier mari venu près d’Othello. On sentait qu’elle faisait la chasse aux cœurs, comme les Indiens font la chasse aux tigres. Elle les poursuivait avec une ardeur passionnée, les forçait et ne les quittait que haletans d’abord, plus mortellement frappés. Simpton tenait bon contre les plus meurtriers des regards ; cependant il sentait en son ame d’inquiétans symptômes.

Quand miss Jane fut partie après cette première séance, Peter Croogh, qui avait obtenu de venir voir poser son idole, aperçut un mouchoir sur le fauteuil que l’actrice venait de quitter, un de ces mouchoirs de femme, parfumés et garnis de dentelle, qui semblent faits uniquement pour essuyer des pleurs romanesques ou des larmes de volupté. L’ancien