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Miss Jane était assise sur un petit sofa en velours cramoisi qui faisait ressortir l’éclatante blancheur de sa toilette. Elle était encore en son costume d’Ophélie, mais de ce personnage virginal elle n’avait gardé que la parure. Une expression hardie, impérieuse, triomphante, avait remplacé dans ses yeux cette expression de candeur profonde et de jeune songerie qui tout à l’heure éveillait au fond de toutes les ames l’essaim des rêves printaniers. Il n’y avait qu’un instant, une secrète et merveilleuse harmonie existait et entre l’innocente mélancolie de son visage et la couronne de fleurs blanches qui entourait son front. Maintenant il n’y avait plus rien de commun entre l’expression ardente de ses traits et cette pâle guirlande. Je crois vraiment qu’à cette transformation miss Jane avait gagné, bien loin de perdre, en irrésistible attrait.

C’était ce que pensaient, à coup sûr, tous ceux qui l’entouraient ; c’était même ce que lui disait le beau que Lionel de Norforth d’une façon qui semblait la charmer et qui n’avait rien de piquant cependant, car l’esprit n’était certes pas l’apanage de ce brillant seigneur ; mais il était jeune et de haute naissance, il avait un grand nom et toutes ses dents, que laissait voir à chaque instant un vaste sourire amené par une vaste sottise. Il était de ces hommes qui poussent certains auteurs élégiaques à dire toutes sortes de choses désagréables au ciel sur la répartition injuste de ses faveurs, et qui égaient ou ennuient tout simplement les honnêtes gens suivant que ceux-ci sont disposés à prendre le ridicule de bonne ou de mauvaise humeur. Ces hommes-là sont toujours fort bien accueillis par une espèce de femmes très charmantes et très nombreuses, j’entends par ces créatures de plaisir qui excitent l’attendrissement des poètes râpés et malades, et qui, elles, ne s’attendrissent guère sur eux.

— Sur l’honneur, s’écriait Lionel, je vous préfère, vous, miss Jane, à toutes les femmes qu’a créées William Shakspeare. Je suis enchanté quand vous sortez de leurs corps pour rentrer dans le vôtre.

— Certes, dit alors d’un ton à la fois grave et fleuri un personnage qui était assis à côté de la comédienne avec une physionomie maritale, un air de béatitude et d’autorité ; certes, miss Jane est ravissante, je le trouve plus que personne, quand elle est elle-même, mais évidemment elle nous fait éprouver des jouissances d’un ordre plus élevé quand, confondant sa pensée avec celle des grands maîtres, elle mêle à sa vie l’existence idéale de leurs créations. Ainsi, dans ce personnage d’Ophélie, si chaste, si rêveur, si…

— Ah ! c’est vous, Peter, fit miss Jane au milieu de cette tirade qu’elle semblait heureuse d’interrompre ; est-ce par hasard M. Simpton qui se tient derrière vous ?

— Oui, miss, répondit Croogh, je vais vous le présenter officiellement.