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il arrive presque toujours qu’on n’est pas libre d’accroître les uns ; c’est presque toujours volontairement qu’on accroît les autres. À la rigueur, une nation peut s’arrêter et reculer même dans la voie des améliorations intérieures ; dans la détermination de ses forces, elle ne peut pas ne pas tenir compte des exigences de sa sûreté et des éventualités de la politique.

En 1829, les dépenses du ministère de la guerre se sont élevés à 214 millions, et celles du ministère de la marine à 73 millions ; en 1845 (nous écartons les deux exercices suivans, comme trop fortement influencés par l’énorme enchérissement des vivres et des fourrages), en 1845, ces dépenses se sont élevées à 302 millions pour le premier, et à 9 millions pour le second ; de nombreuses améliorations dans la flotte et dans l’armée ont une part dans cet accroissement considérable, mais à quoi bon les énumérer ? Cet accroissement s’explique presque tout entier par deux grands faits politiques : l’agrandissement de notre puissance navale et la conquête de l’Algérie.

On ne peut pas nier que l’extension de nos armemens et de nos établissemens maritimes a été conforme au vœu du pays. Sur cette question, à toutes les époques, le gouvernement a été en arrière de l’opinion publique, il la retenait au lieu de l’exciter : il n’ignorait pas que la force maritime d’un grand état ne se mesure pas d’une manière absolue, et qu’elle réside principalement dans sa relation avec celle des autres puissances ; il n’ignorait pas qu’un armement à Brest ajouterait peu de chose à notre force navale, s’il provoquait un armement à Portsmouth, mais il connaissait la susceptibilité nationale sur la prépondérance maritime ; il savait que c’était le dernier vestige de la rivalité qui a si long-temps divisé la France et l’Angleterre, et que l’opinion publique désavouerait une amitié qui semblerait achetée par un sacrifice. Or, sa politique, était d’unir les deux pays dans une entente cordiale ; elle a été continuée avec abandon par ceux qui la lui ont si long-temps reprochée. Sous la monarchie de 1830, elle a plus d’une fois rencontré une assez vive résistance dans des ressentimens mal éteints. Pour servir le pays, en la pratiquant, le gouvernement a risqué plus d’une fois de lui déplaire, et on reconnaîtra sans doute qu’il n’eut été ni patriotique ni habile d’aggraver les difficultés de cette politique en refusant aux préventions du pays quelques satisfactions qui servaient, après tout, à la protection et au développement de son commerce maritime.

Nous n’appelons pas un préjugé national la passion de la France pour l’Algérie. Cette passion lui a donné un empire et une armée. Quelle sera la grandeur de cet empire ? nul n’oserait le prédire encore ; mais qui oserait contester que l’armée d’Afrique a sauvé la France ? Elle a donné son sang à toutes les nobles causes ; elle a pacifié et illustré le