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Cependant Auguste lui avait donné un tout autre exemple ; mais son génie l’avait porté tout d’abord à préférer la rigueur tranchante du dictateur, sans être pressé par les mêmes nécessités. Toutefois il avait une remarquable intelligence des affaires, quand ses soupçons et ses vengeances ne troublaient pas sa politique, et il ne tarda pas à comprendre qu’il y avait profit à être humain et libéral. De même que son père adoptif, il ouvrit une banque de prêt sans intérêt, au capital de cent millions de sesterces (environ dix-huit millions de francs) ; dix-huit mois de crédit, si l’on hypothécait une valeur double en immeubles. L’argent reparut avec la confiance, et en même temps la facilité du commerce et de la vie.

Il est vrai que ces princes trouvaient de merveilleuses ressources pour se montrer généreux. Les dépouilles du monde leur appartenaient, et ils n’avaient pas à compter avec les contribuables.

La législation des Césars, répudiant l’antique préjugé des plébiscites, reconnut l’indispensable besoin des transactions d’intérêts pour la société civile, et par conséquent leur légitimité. Tout l’échafaudage usé des prohibitions et des pénalités s’écroula. Seulement nous avons peine à comprendre aujourd’hui comment la sagesse des jurisconsultes, qui éclairait les constitutions impériales, consacra par ses décisions l’usure de 12 pour 100, cette centésime[1] sanglante, comme l’appelaient les historiens et les philosophes. Nous l’avons déjà dit, ce n’était pas la règle proposée pour l’usage, mais comme une limite extrême, qu’on ne pourrait atteindre que bien rarement, qu’on ne dépassait point sans encourir une déchéance de tout le loyer de son argent. Il n’arrivait au magistrat d’ordonner le paiement de cet intérêt que par une condamnation contre les dépositaires ou les gérans infidèles des deniers publics ou particuliers, obligés de restituer.

Les Antonins et Alexandre Sévère, plus charitables qu’Auguste et que son successeur, prêtèrent sans gages aux pauvres à 4 pour 100, le plus faible intérêt qu’on eût coutume d’exiger, ajoute l’historien. Ce mont-de-piété des empereurs avait un établissement plus précaire et moins constant, mais aussi beaucoup moins cher que les monts-de-piété de nos jours.

Il y avait ainsi un maximum légal et un minimum de fait, et, entre ces deux extrémités, l’intérêt moyen, le plus ordinairement stipulé, celui que Pline appelle honnête, et que Perse le satirique trouve modéré, 5 ou 6 pour 100. En cela, comme en beaucoup d’autres parties de l’administration, il y avait une infinie variété de tarifs selon les pays. C’était une maxime de tolérance du gouvernement impérial de respecter, dans la vie intérieure, les coutumes particulières des nations diverses réunies sous son obéissance.

Une chose qui mérite aussi d’être remarquée, le revenu des capitaux ne dépassait point ou que de très peu le produit des terres. Les écrits des agronomes de l’antiquité, ainsi qu’une foule de contrats pour des biens engagés, ne laissent aucun doute sur ce point. D’où venait une telle différence avec les temps modernes ? Chez les Romains, moins d’entreprises de commerce, et l’industrie presque entièrement aux mains des esclaves.

Le christianisme, qui faisait tant de changemens et de si grands dans les

  1. La centième partie du capital, 1 pour 100 par mois ; les échéances des intérêts étaient mensuelles, soit au kalendes, soit aux ides.