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promenant du théâtre au roman, et jusqu’au pamphlet, une verve capricieuse et infatigable. M. Saint-René Taillandier n’omet, dans son Histoire de la Jeune Allemagne aucune des faces, aucun des incidens de la campagne littéraire qu’il a entrepris de raconter. Sans prétendre apprécier ici un livre sorti de cette Revue, nous dirons que la critique allemande a souvent rendu justice au sentiment de bienveillante impartialité, à la curiosité sympathique et pénétrante que M. Saint-René Taillandier porte dans ses études sur l’Allemagne. Un tel résultat nous dispense de beaucoup insister. Il est fort rare, on le sait, de satisfaire nos voisins d’outre-Rhin, même en faisant leur éloge.


Now and Then, par Samuel Warren[1]. — Ce furent d’heureux débuts que ceux de M. Warren. Publiée sans nom d’auteur, sa première œuvre eut tout d’abord un brillant succès en France comme en Angleterre, et bien des lecteurs sans doute, se souviennent encore de s’être attendris sur les pages des Mémoires d’un Médecin (Diary of a Physician). À proprement parler, l’ouvrage du jeune écrivain n’était point un roman, mais plutôt une suite de scènes, de simples tableaux plus pathétiques que dramatiques, et tout empreints du charme qui s’attache à ce qui coule de source. De fait, il y avait tant de naturel dans ces épisodes qu’ici du moins on ne douta guère de l’authenticité du médecin dont ils se donnaient pour les confidences anonymes. Et cependant M. Warren n’était pas un médecin, mais un avocat, et, qui plus est, un avocat fort au fait de la procédure anglaise, comme il sut du reste bientôt le prouver. Ten Thousand a year (Dix mille livres sterling de rente), qui suivit le Diary of a Physician, ne fit qu’ajouter à la réputation de son auteur. À l’instar des contes sur l’économie politique qui ont fait un nom à miss Martineau, on sait que, dans ces dernières années, un jeune légiste, M. Liardet, a publié à Londres un recueil de nouvelles judiciaires sous le titre de Tales of a barrister. Sans être précisément un roman de ce genre, nous voulons dire, sans être systématiquement composé en vue de développer ou de combattre certaines particularités du droit anglais, Ten Thousand a year ne nous offre pas moins une sorte de tableau daguerréotypé des études d’avoués et des cours de justice de la Grande-Bretagne. C’est l’histoire d’une noble famille réduite à la misère par les menées d’un trio de procureurs qui ont frauduleusement découvert un point attaquable dans ses titres de propriété, et qui se sont ingéniés à faire passer ses biens à un ex-commis en nouveautés, dans l’espoir d’exploiter plus tard leur protégé. Le procès d’où dépend le sort des Aubreys est, pour ainsi dire, disséqué à la loupe, et, en le suivant à travers toutes ses péripéties, le romancier a su faire de ses moindres incidens autant de moyens pour émouvoir ses lecteurs et mettre en lumière ses caractères. En composant son Ten Thousand a year, il est clair que M. Warren avait voulu produire une œuvre complexe, un roman de toutes pièces, et il y avait réussi. Ses nombreux personnages avaient tous des physionomies nettement dessinées, et les épisodes du drame étaient bien les résultats naturels du conflit de leurs passions et de leurs tendances. Sous un rapport peut-être, le succès des Mémoires d’un Médecin n’avait pas été tout-à-fait favorable au romancier. Dans ses Dix mille livres sterling de rente, on sentait davantage

  1. Un vol. in-8o, troisième édition. W. Blackwood, Edinburgh.