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au rebours, quand on débute en aventurier dans la carrière, quand on a la fatuité d’apporter les illusions de son écritoire dans le maniement des réalités, quand on méprise ou qu’on calomnie la prudence d’un guide éprouvé pour se lancer en casse-cou à travers l’inconnu ? Alors voici ce qu’on fait. On organise une concurrence aux excursions anglaises de l’office des chemins de fer ; on amasse des souscripteurs, non plus pour un train de plaisir, mais pour un voyage sentimental, féodal et national ; on se donne le ridicule de colporter dans les hôtels d’une méchante ville de bains une caravane de pèlerins à tant par tête. Puis arrivent les présentations, et là commencent les candides niaiseries dont la France a ri tout de suite en 1815. Toujours le même style et les mêmes mignardises : de bons artisans qui apportent des fleurs, des fleurs en motte, s’il vous plaît, et qui ne se sont point fanées en route, tant le cœur les a soignées : il n’y a de pareil que les villageois de Sedaine.

Non, nous nous trompions : le venin du mal moderne a pénétré jusque dans ce conciliabule patriarcal. Si nous en croyons ses historiographes, on s’y est paré d’un certain semblant de socialisme honnête en vue directe et pour la plus grande joie de celui qui ne l’est pas. Il n’est jamais mauvais d’avoir des amis partout. Nous nous plaisons à croire que cette fâcheuse publicité aura contrarié beaucoup un jeune prince qui s’était jusqu’ici communiqué plus discrètement : il est toujours assez maussade de se laisser devenir un héros malgré soi. De telles frasques ne sont point la vie sérieuse d’une opinion ; elles la gâtent par un faux brillant qui n’est plus de ce siècle. Nous voulons plus de simplicité, plus d’utilité dans les efforts mêmes qu’on tente pour ne pas être oublié du monde. Dans notre époque oublieuse, dont les flots pressés emportent tout si vite, c’est un perpétuel problème à résoudre que de se maintenir en quelque sorte à fleur d’eau. Chacun y travaille comme il l’entend.

Si les esprits graves ont comme les autres ce besoin d’entretenir d’eux-mêmes la mémoire publique et de se rappeler à l’attention fugitive de ce temps-ci, ils la défraient au moins d’une manière profitable. Nous aimons à retrouver sur notre chemin des hommes de gouvernement, même lorsqu’ils ne sont plus au pouvoir, et nous ne leur reprochons pas de ne point perdre l’occasion de se manifester. Aussi avons-nous lu avec un vif intérêt le discours prononce par M. Faucher à Limoges. M. Faucher expose franchement et rudement l’état du pays tel que l’ont fait les fautes qui ont précédé, les folies qui ont suivi 1848 ; ce sont des paroles courageuses de plus : il y en a beaucoup comme cela dans la carrière de M. Faucher, et il n’y en a jamais de trop par le temps qui court. Nous devons une mention particulière aussi au récent travail de M. François Delessert. Président de l’assemblée générale des directeurs et administrateurs de la caisse d’épargne de Paris, M. Delessert était appelé par ses fonctions mêmes à présenter un rapport sur les opérations de l’année 1848. Ce rapport est un document précieux par la clarté avec laquelle il expose tous les mérites de cette grande institution populaire, toutes les épreuves qu’elle a subies au contact violent des prétendus amis du peuple. Il est digne de la philanthropie de M. Delessert d’espérer une prompte renaissance des caisses d’épargne, et c’est a lui plus qu’à personne d’y contribuer ; ce bien-là se fait sans bruit.

Nous ne pouvons pourtant pas quitter la plume avant de parler encore un peu des grands hommes de la salle Sainte-Cécile ; nous tenons à dire de quel-