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Bem et Dimbinski, et tous ces valeureux écervelés, qui, accourus de la Pologne ou de l’émigration, s’étaient réunis autour de ces deux chefs, ont donné aux Magyars l’expérience militaire et la confiance qui leur manquaient. Les Polonais ont joué un rôle de premier ordre dans la guerre de Hongrie, et vraisemblablement les Polonais avaient le droit de compter pour quelque chose dans les dernières résolutions de Georgey. Ils sont le prétexte dont l’empereur de Russie s’est couvert pour intervenir en Hongrie ; ils sont l’un des principaux buts que sa politique a poursuivis ; il y avait peut-être un devoir de reconnaissance qui commandait à Georgey de ne pas remettre par préférence au prince de Varsovie le sort d’une armée dont les Polonais ont été le noyau et l’honneur. Les Polonais ont fait la guerre aux Austro-Croates dans l’espoir d’être conduits d’événemens en événemens à la faire à la Russie ; ils l’ont faite avec l’entrain chevaleresque qui ne les abandonne sur aucun champ de bataille ; il convenait peut-être de leur épargner cette grande douleur d’être forcés de déposer les armes devant les soldats et devant le général qui leur rappellent les plus sanglans souvenirs. Georgey a donc péché par légèreté envers les Polonais. Bien loin de nous l’intention de dire qu’il ait voulu paraître ingrat ; mais il a du moins oublié de se montrer reconnaissant.

Aussi bien Georgey, soit rivalité d’ambition, soit patriotisme magyar, n’a jamais vu d’un œil satisfait l’influence que Bem et Dimbinski ont si rapidement acquise par l’effort d’une grande capacité dans les affaires de Hongrie. Depuis qu’il s’était lui-même formé à l’école de Dimbinski, il avait plus d’une fois décliné les conseils de son vigoureux maître. À l’époque où l’armée autrichienne était disloquée, quand l’armée magyare menaçait Presbourg, Dimbinski avait ouvert l’avis de marcher directement sur Vienne avant l’arrivée des. Russes. Georgey s’était mis en opposition ouverte avec le vieux général polonais. Dimbinski pensait que les Magyars ne pouvaient aspirer à une victoire définitive qu’en cherchant des alliés à Vienne et en Gallicie. Georgey croyait, au contraire, que la Hongrie n’avait à se préoccuper que de débarrasser son territoire de tout soldat autrichien, et de s’y renfermer ensuite pour s’y défendre ; il semblait craindre de compliquer la question hongroise de quelque question étrangère. Le plan de Dimbinski était le plus prudent sous l’apparence la plus téméraire : mais Georgey persuada Kossuth, et fit rejeter par le gouvernement magyar la hardie conception de celui dont il était désormais le rival et dont il allait devenir le supérieur.

Bem, qui agissait isolément dans la Transylvanie, où il se faisait une gloire toute à part, portait peut-être moins d’ombrage au général hongrois. Bem avait eu pour mission de déblayer le sol de cette province, qui est véritablement la citadelle de la Hongrie, et d’y préparer un refuge à l’insurrection ; il avait rempli cette mission avec autant d’éclat que d’intelligence. Sans être en dehors des combinaisons de la grande guerre, il n’était point sur le théâtre principal de l’action ; il ne gênait donc point aussi directement que Dimbinski l’ambition de Georgey. Les inquiétudes de Georgey ne se sont éveillées de ce côté que lorsque, sous l’impression des derniers désastres, M. Kossuth manifesta l’intention de tirer Bem de la Transylvanie pour le placer à la tête de l’armée. Georgey eût été plus humilié de perdre son commandement en faveur de Bem, qu’il n’avait été joyeux de le conquérir au détriment de Dimbinski. Georgey était