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comment, de la condition de victorieux couvert de gloire par l’opinion, il a pu passer en quelques jours à l’état de vaincu réduit à déposer les armes. Eh ! quoi donc ! n’est-il pas une explication toute naturelle à l’usage des peuples et des partis exaltés, toutes les fois qu’ils se font battre ? Au beau temps de 93, lorsqu’un de nos généraux avait eu le malheur de ne pas vaincre, que disions-nous ? Que disaient récemment les unitaires d’Italie, quand Charles-Albert, après avoir joué sa vie et sa couronne pour l’indépendance de la Lombardie, était repoussé de Custozza et de Novarre ? Ils ne cherchaient la cause de ces désastres ni en eux-mêmes ni dans les circonstances : le coupable, c’était l’homme qui avait tout sacrifié pour eux.

Certes, il faut beaucoup pardonner aux douleurs d’un peuple vaincu. Le désastre des Magyars nous semble si profond, que nous n’avons point le courage de leur adresser tous les reproches qu’ils méritent. Cependant, nous qui n’avons jamais témoigné ni ressenti aucune sympathie pour le général Georgey, parce qu’il servait une cause que nous jugions injuste et fatale à l’Europe, nous serions bien tentés d’accuser ici l’ingratitude des Magyars pour le seul général hongrois qui ait jeté quelque lustre sur leur armée dans cette guerre. La renommée de Bem et celle de Dimbinski appartiennent à la Pologne. Kossuth lui-même n’est qu’une greffe slave entée sur le vieil arbre hongrois. Que resterait-il au patriotisme des Magyars, si, ayant produit, pour tout enfantement, la rapide gloire de Georgey, ils ne pouvaient pas la conserver pure ? C’est donc, de leur part, de l’imprudence autant que de l’oubli de faire si bon marché de la seule illustration militaire dont le patriotisme magyar puisse s’enorgueillir aujourd’hui. Non, Georgey n’a point faibli sous le poids de la responsabilité que Kossuth lui a remise en désespérant lui-même de cette Hongrie que sa politique d’imagination avait amenée au bord de l’abîme. Le jeune général a reçu des mains de l’avocat Kossuth une Hongrie harassée, épuisée d’hommes et d’argent, de vivres et de munitions, incapable de prolonger quinze jours une lutte inégale. Le beau diseur avait reculé devant la douloureuse nécessité de confesser lui-même sa folie ; il emportait avec lui l’orgueilleuse satisfaction d’avoir, en allumant une guerre affreuse, fait descendre deux empires sur le champ de bataille ; il laissait au soldat, qui avait partout payé de sa personne dans cette guerre, l’impopulaire mission de solliciter l’indulgence des vainqueurs. En renonçant à diriger la politique de son pays, M. Kossuth n’a-t-il pas assez indiqué lui-même, n’a-t-il pas déclaré hautement qu’il tenait la partie pour désespérée ?

Depuis l’ouverture de la dernière campagne, quoique les opérations eussent été poussées sans ensemble par les généraux austro-russes, les Magyars n’avaient opposé partout qu’une résistance courageuse, mais vaine. Repoussés d’abord violemment sous Comorn, chassés de Buda-Pesth, rejetés ensuite sous la conduite de Georgey sur la rive gauche de la Theiss, pressés entre Haynau et Paskéwicz au nord-ouest, par les divers corps de la Transylvanie au nord-est, contenus au midi sous Bem par les Serbes et les Croates de Knitchanine et de Jellachich, ils étaient de toutes parts écrasés par le nombre. La position n’était plus tenable que dans les forteresses de Peterwardein et de Comorn. Bem si long-temps invincible, ou qui du moins savait promptement réparer un échec, Bem lui-même était battu à plusieurs reprises et frappé d’une déroute dont il