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LE SOCIALISME ET LES SOCIALISTES EN PROVINCE.

à l’endroit des femmes et de la famille prouvait combien peu les plus égrillards de ces pauvres gens comprenaient le sens de leurs paroles. Un jour entre autres, il fut dit un mot que je ne répéterai pas, un mot semblable à celui qu’étourdiment Télémaque prononce dans l’Odyssée : « Si toutefois Ulysse est mon père, car qui peut se flatter de connaître son père ? » Ceux qui avaient des filles ne se hasardaient pas autant, mais les vieux garçons et les célibataires de province, type curieux et qui rentre tout-à-fait dans la lignée rabelaisienne, ne s’en faisaient pas faute. Lorsque ces doctrines étaient exposées dans l’intérieur des familles par quelque sot passant pour bel esprit dans son village, les femmes souriaient, et les jeunes demoiselles, qui entendaient dire que le fouriérisme était immoral, relevaient la tête, pensant que M. X, qu’elles connaissaient comme fouriériste, était un être immoral. De temps en temps on recevait, dans les villes du centre, la visite de quelque chef socialiste. C’étaient tour à tour un fouriériste et un communiste, qui venaient faire des leçons apostoliques et propager leurs doctrines. Aussitôt qu’ils arrivaient, tout était sens dessus dessous ; on mettait la salle de spectacle ou une des salles du palais de justice à leur disposition, les dames accouraient en foule pour voir et entendre le monsieur qui devait prêcher sur la papillonne et les groupes de papillonnacées ; le jeune barreau visitait l’auteur et l’invitait à un dîner somptueux, où, en guise de délassement, on recommençait l’exposition de ces doctrines ; au dessert, on recommençait encore, et l’on digérait en discutant. La digestion se faisait ainsi en mode composé, comme disent les phalanstériens ; les intestins comprenaient si bien que c’étaient eux surtoutqu’intéressaient ces doctrines. Le restaurateur écoutait bouche béante et se convertissait à la doctrine de ces messieurs qui faisaient tant de consommation !

Beaux jours, qu’êtes-vous devenus ? communions humanitaires ! agapes socialistes ! prêches phalanstériens ! soirées où l’on goûtait par avance les douceurs du paradis sur terre ! soupers où la frugalité et l’abstinence, ces vertus de mendians, n’apparaissaient pas, où l’on discutait sur la misère au milieu des bouteilles pleines et des mets abondans ! Chacune de ces soirées était une véritable Pentecôte ; chacun en sortait plus saint, ayant pleinement réhabilité sa matière ; les langues étaient déliées, et la douce loquacité descendait sur les jeunes disciples. Vous n’avez duré qu’une saison, vous avez été brusquement échangés contre les coups de fusil, les billets de garde trop fréquemment renouvelés, la charge en douze temps et l’exercice quatre fois par semaine ! Ces soupers, maintenant, où en est le souvenir ? On en redoute beaucoup d’autres moins inoffensifs, non plus des agapes à huis-clos, mais des saturnales à ciel ouvert. Avant la révolution de février, bien des petits banquets socialistes ont été tenus, je l’affirme, où alors on ne parlait