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REVUE DES DEUX MONDES.

Lorsque mon ami eut fini de parler, je ne trouvai rien à répondre que ceci : « La société a agi comme vous, par caprice ; elle s’est lancée comme vous, par curiosité, dans les hasards de l’inconnu.»

Oui, la France entière a été pendant un moment comme ce socialiste renégat, et c’est là ce qui l’a perdue. Par caprice, elle avait accepté ces doctrines, et, soit par nonchalance, soit à cause de son esprit affairé, elle ne s’est pas prémunie contre elles. J’ai raconté cette conversation, non-seulement parce qu’elle renfermait la critique des écoles socialistes, mais encore pour montrer combien il y a eu d’étourderie et d’enfantillage dans cette adhésion tacite, dans ce secours négatif prêtés par la paresse de la société aux doctrines subversives.

Les bons bourgeois, avant la révolution de février, ne craignaient guère le socialisme ; il était de bon ton de connaître ses docteurs et de causer avec eux sur l’avenir de l’humanité. Ce qui se disait de grotesque dans ces conversations, Dieu seul le sait. De la part des braves bourgeois, c’étaient des bravos saugrenus ; des adhésions, des acquiescemens absurdes. Ils accordaient que la société pourrait arriver au but que lui marquaient les socialistes, mais qu’il faudrait du temps. Il était de mode aussi de recevoir les journaux socialistes, on recevait la Réforme, la Démocratie pacifique, la Revue Sociale ; on s’émerveillait sur le talent de M. Louis Blanc ; les avoués, qui en général sont des hommes réglés comme des horloges, inclinaient vers le fouriérisme, les avocats sans cause penchaient au contraire vers les doctrines qui promettent à chacun selon son appétit, les médecins avaient pris sous leur protection les réhabilitations du comité de salut public ; la chirurgie politique de feu ces messieurs leur plaisait infiniment, il n’y a pas à s’étonner de ce fait. Tout allait assez bien alors pour qu’on pût tranquillement discuter toutes ces belles choses le soir dans un café ou dans un cercle, et, en rentrant chez soi, on pensait que, si l’on était transporté le lendemain sans secousse et tout en dormant dans les terres fleuries du fouriérisme, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. C’était superbe, et il n’y avait plus qu’à s’embrasser. On se séparait en serrant tendrement la main à l’orateur socialiste, et les pères de famille dont les petits garçons avaient remporté des prix se disaient en se retirant que ce jeune homme avait bien des moyens. Ceux qui avaient des enfans paresseux ou dont la tête était un peu dure leur proposaient pour modèle M. ***, qui causait si bien. Hélas ! c’était la lune de miel du socialisme, et les lunes de miel sont toujours courtes. C’était une perspective de pays de Cocagne, aux ruisseaux de lait, où les cailles devaient tomber toutes rôties, et les nougats pousser comme des champignons. Souvent aussi les discussions prenaient une tournure qui faisait frémir tout spectateur doué de l’esprit d’observation. Par exemple, la discussion des brutalités socialistes