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cles d’oreilles, d’un collier à quinze rangs de perles fines, de deux agrafes, de deux bracelets, de douze bagues, de deux anneaux pour le bas des jambes, d’une sarma[1] en étoffe d’or, enrichie de pierreries.

Toutes ces grandeurs avaient disparu, et la pauvre Jemna, à peine arrivée chez les amis hospitaliers qui lui donnaient asile, reprise des douleurs de l’enfantement, mit au monde un fils qu’elle nomma Omar, en souvenir de son père. Deux jours après cette fatale journée, le nouveau dey, Ali-Pacha, envoya son premier ministre auprès de la veuve de son prédécesseur. Ce fut à travers les barreaux de la chambre occupée par Jemna que le ministre lui fit connaître l’objet de sa mission. « Ali-Pacha (que Dieu lui donne la victoire) envoie salut et bénédiction à la veuve de l’ex-pacha Omar[2]. Calme ta douleur, te dit l’illustre souverain. Ton mari est mort de la mort des pachas, son heure était marquée, que Dieu lui fasse miséricorde ; mais il te reste des enfans, tes jours sont peu nombreux ; tu les as passés dans la fortune et dans les grandeurs ; de plus nombreux te sont peut-être réservés par le Très-Haut, crains de les passer dans la misère et l’abaissement ; ton sort et celui de tes enfans sont en tes mains, tu étais femme de pacha ; dis un mot, et tu seras femme de pacha. Voici la clé de ton palais, nul pied étranger ne l’a encore foulé ; reviens lui rendre son plus bel ornement, et ton nouveau maître y doublera tes richesses et le nombre de tes esclaves. — Ô Dieu de clémence et de miséricorde, s’écria-t-elle, pourquoi n’as-tu pas ordonné à ton ange Asraël d’emmener à la même heure à tes pieds l’ame de Jemna et celle d’Omar ? Quel crime veux-tu me faire expier, puisque tu veux que j’entende les propositions outrageantes du meurtrier de mon mari ? mais que ta volonté soit faite ! Quant à toi, vil esclave d’un maître plus vil encore, sors bien vite de la maison qui me donne refuge, car ton souffle empoisonne l’air que je respire ; va, lâche assassin, dis à ton seigneur que la veuve d’Omar-Pacha vivra et mourra la veuve d’Omar-Pacha, que ses séductions sont vaines, car les choses de la terre ne sont plus rien pour celle dont tout le bonheur est au ciel, et que ses menaces sont plus vaines encore, car il n’est que la périssable créature qui agit par ordre de son créateur. »

Pendant plus de huit jours, le nouveau pacha employa tous les moyens pour séduire Jemna. Elle fut inébranlable. L’avarice, passion dominante de ce prince, l’emporta enfin sur tout autre sentiment ; il s’empara des richesses d’Omar. Sa vue ne pouvait se rassasier de tant d’or et de bijoux. Ce fut sous l’impression favorable que lui fit éprouver le spectacle de tous ces trésors, qu’il permit à la famille d’Omar

  1. Espèce de tunique.
  2. Nous avons cru devoir conserver dans tous ces dialogues le texte même des notes de M. Roche, sachant qu’il les avait écrites d’après le récit du fils de Jemna.