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à Coléah. Il y a peu d’années enfin, les Omar s’étaient retirés dans la ville. Ces trois familles également illustres ont répandu sur Milianah une sorte de prestige. Les deux premières, celles des Ben-Yousef et des Embarek, descendaient de marabouts célèbres. Les récits du pays sur ces deux familles pourront faire comprendre cette influence singulière des traditions, dont l’autorité est si grande encore parmi les Arabes. Quant à l’histoire des Omar, c’est un curieux chapitre de la politique turque et de la vie aventureuse de ceux qui, avant 1830, étaient les maîtres du pays.

Les souvenirs qui se rattachent aux Ben-Yousef sont plutôt religieux que militaires ; ils sont encore vivans chez tous les habitans. Si-Mohamed-ben-Yousef le voyageur vint, il y a quatre cents ans, finir ses jours à Milianah ; sa haute réputation de sagesse et de vertu s’était vite répandue dans le pays, et de toutes parts on venait lui demander des prières et des conseils. En échange, chacun se croyait obligé de lui offrir un présent, si bien que l’homme de Dieu eut bientôt toutes les richesses de la terre. Pour récompenser sans doute ses vertus, Dieu lui avait donné le pouvoir des miracles, et il devinait la vérité, la traduisant par des dictons rimés qui se répètent encore dans toutes les tribus[1]. À sa mort, on lui éleva un tombeau magnifique, et aujourd’hui sa famille est entourée du respect que l’on portait à l’aïeul. Les Ben-Yousef sont les seigneurs de Milianah ; ils ne s’inclinent que devant les Si-Embarek, les marabouts de Coléah, dont les serviteurs les plus zélés se trouvaient non loin de la ville, dans la tribu des Hachems.

Ce sont encore des souvenirs religieux qui planent sur le berceau des Si-Embarek et sur la formation de la tribu des Hachems du Chéliff. En 1580, un homme des Hachems de l’ouest, nommé Si-Embarek, quitta sa tribu avec deux domestiques, et vint à Milianah. À Milianah, comme il était pauvre, il renvoya ses domestiques, qui descendirent sur les bords du Chéhiff et donnèrent naissance à la tribu des Hachems, que vous y retrouvez encore. Pour Sidi-Embarek, il se rendit à Co-

  1. En voici quelques-uns qui nous reviennent à la mémoire :
    « Accepte d’un riche qui a eu faim, — et jamais d’un parvenu. »
    « Quel est ton père ? disait-on à l’âne. — Le cheval est mon oncle, répondit-il. »
    « Le silence, or ; — le bavardage, argent. »
    « Mange à ton goût, — et habille-toi au goût du monde. »
    « Pèche dix fois devant Dieu, — et pas une devant les hommes. »
    « Quand le chien a de l’argent, — on lui dit monseigneur le chien. »
    Il y en a aussi sur les habitans de chaque ville :
    « Celui que vous voyez vêtu d’un petit haïk, — tenant à la main un petit bâton, — debout sur un petit mamelon, — disant à la dispute : — Venez me trouver, — reconnaissez-le pour un enfant de Médéah. »