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SOUVENIRS DE LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

l’Ouarsenis, dominant ces montagnes kabyles que nous devions soumettre. C’était un imposant tableau. Quand les regards, après avoir parcouru ces horizons lointains, revenaient se fixer sur la ville, ils rencontraient, au pied des murailles, un lieu marqué par de tristes souvenirs ; je veux parler du cimetière qui reçut, en 1840, une garnison entière.

Bien des scènes de désolation se sont passées sur l’étroit plateau de Milianah, et le nom du général Changarnier doit rester attaché au nom de cette ville, car, en deux circonstances il fut son sauveur. En juin 1840, l’armée se trouvait avec M. le maréchal Valée sous les murs de Médéah. Il fallait ravitailler Milianah, occupée depuis peu de temps par nos troupes. Les généraux étaient d’un avis contraire ; l’entreprise était en ce moment trop difficile, la fatigue des troupes trop grande. Seul le colonel Changarnier crut la chose possible, et le maréchal, sans hésiter, confia l’expédition à celui qui venait avec le 2Me  léger de prendre une si brillante part aux assauts du col de Mouzaïa. Le lendemain, le colonel partait, dérobait une marche à l’ennemi et faisait vingt-quatre lieues en trente heures ; de retour quatre jours après, il justifiait par le succès la confiance du vieux maréchal et recevait les félicitations de l’armée entière.

La saison des chaleurs était venue, les troupes avaient repris leurs cantonnemens, et l’on comptait sur le secours laissé dans la place pour que la garnison de Milianah pût attendre le ravitaillement de la fin de l’automne ; mais on comptait sans les maladies, sans la vermine, qui, se mettant dans les magasins en ruine, détruisit une partie des ressources. Les bœufs étaient morts. On ne pouvait sortir des remparts ; plus de viande, la disette commençait à se faire sentir. Pressés par la faim, les soldats mangeaient ce qu’ils pouvaient ramasser, jusqu’à des herbes et des mauves qu’ils faisaient bouillir. Cette nourriture malsaine, agissant sur le cerveau, les portait à la nostalgie, au suicide. Sur douze cents hommes, sept cent cinquante avaient déjà succombé : quatre cents étaient à l’hôpital, les autres n’en valaient guère mieux. À peine si le peu d’hommes valides avaient la force de tenir leurs fusils. Les officiers eux-mêmes étaient obligés de veiller aux remparts, et chaque jour ils voyaient approcher le terme fatal où, faute de défenseurs, la ville serait prise. Aucunes lettres, aucunes nouvelles, les espions avaient été tués. Enfin une dépêche du commandant supérieur put passer, et l’on fut instruit à Alger de la triste situation de cette garnison. Le colonel Changarnier, devenu général depuis le premier ravitaillement de Milianah, avait vu s’accroître, par de nouveaux succès, sa réputation d’habileté et d’audace. Aussi, pour sauver la garnison, ce fut encore à lui que M. le maréchal Valée se confia. Deux mille hommes seulement étaient disponibles. Avec ces faibles ressources, il