Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/814

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

états du royaume avaient déclaré vacant le trône d’un Plantagenet perfide et oppresseur, et lorsque le débat fut terminé, les nouveaux souverains furent couronnés avec le cérémonial antique. » Alors on vit fonctionner pour la première fois cette constitution aux trois pouvoirs balancés, idéal dont Cicéron et Tacite avaient écrit qu’il était trop parfait pour être réalisable sur la terre ; cette constitution, produite par l’histoire d’un peuple, que M. de Maistre a si bien définie et célébrée en ces termes : « Certainement la constitution anglaise n’a pas été faite à priori. Jamais des hommes d’état ne se sont assemblés et n’ont dit : Créons trois pouvoirs, balançons-les de telle manière, etc. ; personne n’y a pensé. La constitution été l’ouvrage des circonstances, et le nombre de ces circonstances est infini. Les lois romaines, les lois ecclésiastiques les lois féodales, les coutumes saxonnes, normandes et danoises ; les privilèges, les préjugés et les prétentions de tous les ordres ; les guerres, les révoltes, les révolutions, la conquête, les croisades ; toutes les vertus, tous les vices, toutes les connaissances, toutes les erreurs, toutes les passions ; tous ces élémens enfin, agissant ensemble et formant par leur mélange et leur action réciproque des combinaisons multipliées par des myriades de millions, ont produit enfin, après plusieurs siècles, l’unité la plus compliquée et le plus bel équilibre qu’on ait jamais vu dans le monde. » Enfin, pour emprunter à M. Macaulay son mot suprême sur la révolution de 1688, « le plus grand éloge qu’on en puisse faire, c’est qu’elle fut la dernière révolution anglaise. »

Nos révolutions continentales ont eu des causes, des caractères et des résultats tout contraires. Elles ont toujours été une rébellion contre le passé, elles ont armé les classes de la société les unes contre les autres ; au lieu de fonder la liberté, l’ordre et la prospérité au sein des peuples qu’elles travaillent, c’est encore le doute terrible de notre temps de savoir si elles ne sont point, pour une civilisation expirante, les convulsions de l’agonie. M. Macaulay voit une grande cause historique à cette lamentable différence. En Angleterre, la monarchie limitée du moyen-âge existait encore lorsque l’événement de 1688 est venu remodeler ses attributions sur les besoins des sociétés modernes ; mais en Europe, au moment où les révolutions éclatèrent, les libertés du moyen-âge avaient été depuis long-temps supprimées et remplacées par la royauté absolue. Déjà, lors de la Fronde, quand il y eut chez nous un dernier conflit entre les droits du peuple et les droits du roi dont le cardinal de Retz disait qu’ils ne s’accordent jamais mieux que dans le silence, « l’on chercha comme à tâtons les lois, ajoute le même cardinal, et l’on ne les trouva plus. » Un siècle, après, la royauté absolue avait accompli ses destinées ; la société, à la fois mûrie et excitée par ses progrès et par ses lumières, voulut arriver à la possession d’elle-même par la liberté. Au lieu de trouver, comme l’Angleterre dans ses institutions politiques et sociales un acheminement à cette