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autre théâtre leur esprit d’intrigue et d’entreprise. Bien au-dessous d’eux venait d’abord le féroce Jeffreys, qui grandit en honneurs à mesure qu’il s’unissait davantage par ses brutales iniquités aux passions impérieuses et inexorables de Jacques.

En prenant la couronne, Jacques II conserva pendant quelque temps dans les plus hautes fonctions des hommes dont la servilité ou les convoitises, bien qu’extrêmes, n’allèrent pas aussi loin pourtant que celle de la cabale dont je viens de parler. C’étaient, entre autres, ses propres beaux-frères, le comte de Clarendon et lord Rochester. Clarendon et Rochester étaient deux des chefs les plus prépondérans du parti tory, des cavaliers de la vieille école, défenseurs passionnes de la couronne et de l’église. Clarendon fut vice-roi d’Irlande après l’avènement de Jacques II, et Rochester premier ministre. Il vint un moment où le royalisme dévoué de ces deux hommes ne suffit plus à Jacques ; il ne voulut plus avoir dans son conseil que des catholiques. La crise qui amena leur disgrace est une des scènes de mœurs les plus curieuses de cette histoire, et où se peint le mieux la naïve immoralité des hommes de ce temps. Rochester était, comme son frère, attaché à l’église d’Angleterre, et voyait avec douleur les plans du roi en faveur du catholicisme. Il arriva que Jacques, malgré son âge et les scrupules religieux auxquels il allait sacrifier une couronne, tomba amoureux de la fille d’un ancien cavalier, Catherine Sedley. Les mémoires d’Hamilton ont fait connaître le mauvais goût et la maladresse de Jacques en amour : Catherine Sedley était laide, mais avait beaucoup d’esprit. Elle disait elle-même du roi : « Je ne sais vraiment pourquoi il m’aime ; ce ne peut être pour ma beauté, je suis trop laide ; ce ne peut être pour mon esprit, il n’est pas capable de l’apprécier. » Rochester, un des hommes les plus honnêtes et les plus religieux de cette époque, voulut faire profiter à son église et à son ambition l’ascendant de la favorite. Un instant, Catherine Sedley tint en échec la portion exaltée de la coterie catholique. Jacques cependant, touché du désespoir de sa jeune femme Marie de Modène, bourrelé de remords, triompha de sa passion et renvoya Catherine, qu’il avait faite marquise de Rochester. Ce fut un coup fatal pour l’influence de Rochester. Le coup de grace fut l’idée qui vint à Jacques de le convertir au catholicisme. Rochester, qui avait toutes les bassesses de la passion du pouvoir, mais qui, de conviction et d’honneur, tenait à sa religion éprouva d’affreux déchiremens. D’abord il feignit d’accepter la controverse pour s’éclairer. À la fin, ne pouvant se résoudre à l’abandon de sa foi, il fit un effort désespéré pour garder sa place. « Votre majesté voit, dit-il à Jacques, que je fais tout mon possible pour lui obéir en toute chose. Je vous servirai comme vous voulez être servi : oui, continua-t-il avec un redoublement d’humiliation,