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tions parfaitement analogues à celles que Pitt devait entreprendre plus tard, et il avait le mérite de l’avoir précédé. Jusqu’à Necker, les finances françaises n’avaient été qu’une succession de banqueroutes, car il ne faut pas compter la courte administration de Turgot, qui avait eu toutes les bonnes intentions et qui n’avait pas pu les réaliser. Il s’en fallait de plus de 50 millions, en 1776, que les revenus libres n’égalassent les dépenses ; ce déficit annuel était couvert par des expédiens ruineux. La plupart des revenus, consommés par anticipation, ne présentaient que des ressources fictives ; de plus, et cette circonstance rendait la situation de Necker bien plus grave que celle de Pitt, la France s’engageait alors dans la guerre d’Amérique : cette guerre, qui devait doubler en quelques années la dette de l’Angleterre, n’épargnait pas les finances de la France.

Cinq ans après, Necker avait donné tous les exemples que Pitt devait suivre plus tard. Il s’était mis à la poursuite de toutes les dépenses superflues, de tous les gains illicites ; il avait réformé quatre cents charges inutiles dans la maison du roi, supprimé l’abus des croupes ou pensions sur les bénéfices des fermes générales, réparti plus équitablement les impôts, institué des assemblées provinciales pour le maniement des derniers locaux, établi les premiers élémens d’une comptabilité centrale, donné la vie et des statuts à la banque d’escompte de Paris, réduit les innombrables droits de péage établis sur les routes et les rivières au profit des propriétaires riverains, préparé l’abolition des douanes intérieures, qui empêchaient tout commerce de province à province, réorganisé les fermes et régies ; et par l’ensemble de ces mesures, non-seulement il avait comblé le déficit annuel de 50 millions, mais il avait obtenu un excédant annuel de recettes sur les dépenses qu’il évaluait à 10 millions[1]. En même temps, il avait emprunté 530 millions pour les frais de la guerre, et ces emprunts, si considérables pour le temps, avaient été faits, grace à une série de combinaisons ingénieuses, tout en relevant le crédit public long-temps comprimé par la mauvaise administration de Louis XV.

La réputation de Necker, par suite de ces succès, s’était rapidement répandue dans toute l’Europe. Le roi de Suède avait chargé spécialement son ambassadeur à Paris de le complimenter. Un ministre anglais, le duc de Richmond, lui écrivait en 1779, après avoir fait publiquement dans le parlement l’éloge de son administration : « Il est certain, monsieur, que je suis rempli d’admiration pour vos talens et vos ressources ; je serais bien heureux que la seule concurrence entre

  1. Les revenus publics en France étaient, d’après Necker lui-même, en 1784, de 585 millions ; la France comptait alors vingt-quatre millions d’habitans, ce qui donne en moyenne de 24 à 25 francs par tête. Un Anglais payait 50 franc à la même époque, et huit ans plus tard, en 1792, après l’administration de Pitt, plus de 60.