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dans le reste du royaume. Avec les trainbands de Londres, un parti pouvait réunir en une heure une force armée de vingt mille hommes, composée de douze régimens d’infanterie et de deux régimens de cavalerie. Sans l’hostilité de la Cité, Charles Ier n’aurait pas été vaincu. Sans le concours de la Cité, Charles II n’aurait pas été restauré. D’ailleurs, Londres faisait l’opinion publique, ce pouvoir mobile et souverain qui gouverne seul en définitive les peuples libres, car Londres rassemblait et rapprochait dans son enceinte toutes les grandes influences, la cour, le parlement, la bourse, les tribunaux, les chefs des sectes religieuses et les écrivains. La nouvelle de la cour redite par le gentilhomme qui avait assisté au lever du roi, la séance de la chambre des communes, malgré le huis-clos des débats, racontée par un membre indiscret, le procès du moment, le livre de controverse qui venait de paraître, le sermon du prédicateur à la mode, le poème en vogue, la satire d’hier, le pamphlet d’aujourd’hui, tout cela discuté, commenté, mêlé, confondu, défiguré, retentissait dans la même journée des galeries de Whitehall jusqu’à l’échoppe du marchand, et occupait de la même pensée, du même intérêt, de la même passion, une population de cinq cent mille ames. Les journaux n’étaient point encore le véhicule des nouvelles et le daguerréotype de l’opinion. La curiosité ne pouvait se satisfaire que dans les réunions publiques. La cour était le grand entrepôt des nouvelles ; la gracieuse bonhomie, la séduisante affabilité de Charles II ouvrait à grands battans le palais de Whitehall. Tout gentleman avait accès jusqu’au roi ; les whigs extrêmes étaient seuls exclus de Whitehall les bruits couraient par la ville et s’allaient éparpiller, grossir, interpréter dans les cafés. Un négociant levantin avait ouvert le premier café de Londres sous la république. Ces établissemens étaient si vite et si bien entrés dans les mœurs, que, malgré les ombrages qu’ils donnèrent quelquefois au pouvoir, tous les partis furent unanimes pour en exiger le maintien. Les cafés étaient aux Londoniens du XVIIe siècle ce que sont devenus pour leurs descendans le journal, le club, le meeting réunis : un quatrième pouvoir dans l’état, comme nous disions de la presse sous la monarchie constitutionnelle. On passait la moitié de sa vie au café ; on y donnait ses rendez-vous. Il y avait des cafés pour toutes les opinions, toutes les croyances, toutes les professions et tous les goûts : des cafés élégans où les petits maîtres, les fops, grasseyaient des traits d’esprit en dandinant leurs perruques parisiennes des cafés littéraires où l’on prenait parti pour Boileau ou pour Perrault dans la querelle des anciens et des modernes, et où l’on allait écouter Dryden exprimant son opinion sur la dernière tragédie de Racine ; des cafés pour les médecins, où les gros bonnets de la faculté donnaient leurs consultations à certaines heures de la journée entourés d’un cortège de chirurgiens et l’apothicaires ; des cafés austères, où les