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excités que par des griefs passagers. La partie flottante de la nation revint aux tories. La chambre des lords repoussa le bill d’exclusion. Un nouveau parlement fut convoqué ; les tories y eurent une écrasante majorité. Quelques whigs exaltés, renonçant aux moyens légaux d’opposition conspirèrent. Leurs complots furent découverts et sévèrement punis. Cette réaction fit encore de nobles victimes : Russell, Sidney. Elle était pourtant maîtresse de l’opinion, lorsque Jacques II devint roi. Ce fut vers ce temps que furent publiés les traités où Filmer maintenant que la monarchie pure était la forme de gouvernement prescrite par la Divinité, et que la monarchie limitée était une absurdité pernicieuse. Le clergé embrassa ces doctrines avec feu ; toutes les chaires retentirent de sermons contre la rébellion. Une portion considérable du parti tory les accueillit avec faveur. Le jour où Russell eut la tête tranchée, l’université d’Oxford les adopta par un acte solennel et fit brûler publiquement dans la cour des écoles les écrits politiques de Buchanan et de Milton.

Mais ces mouvemens d’opinion publique, dans quelle société s’opéraient-ils ? Quelles étaient les mœurs au milieu desquelles ils se développaient, les circonstances sociales qui leur servaient de véhicule ? On aurait une fausse idée du caractère de la révolution de 1688, si l’on n’avait devant l’imagination une ébauche au moins des mœurs de ce temps. Les mœurs éclairent la politique, comme l’illustration anime le texte. La partie la plus curieuse, la plus neuve, la mieux réussie du livre de M. Macaulay est celle qu’il a consacrée à la peinture des conditions, des usages, de la vie publique et privée des diverses classes de la société anglaise à l’époque de la révolution de 1688. Rien ne ressemble moins à l’Angleterre débordante et agissante que nous connaissons.

Figurez-vous une nation de cinq millions d’ames, sans compter l’Ecosse et l’Irlande. Sauf Londres, la ville de province la plus peuplée est Bristol : elle n’a pas trente mille habitans ; après, il n’y a plus dans tout le royaume que quatre villes qui arrivent jusqu’à dix mille ames. Des lieux où s’élèvent aujourd’hui des cités peuplées de deux cent mille ames sont à peine des villages. Cette Angleterre, maintenant remuée, fouillée, criblée en tout sens par l’industrie, est exclusivement agricole Londres et quelques points sur le littoral suffisent au commerce. Il y a d’ailleurs entre Londres et la province une distance matérielle et morale énorme. Les routes sont détestables ; il faut dix jours pour venir à bout des voyages qu’on fait aujourd’hui en cinq heures ; encore les voyages sont-ils dangereux, et l’on est exposé à être dépouillé ou tué par des voleurs de grands chemins, dont les exploits frappèrent si fort l’imagination des contemporains, qu’ils ont laissé des renommées légendaires. Aussi les habitans de la province et les habitans de Londres sont-ils comme deux raisons différentes. Londres concentre la vie