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PITT ET LES FINANCES ANGLAISES.

l’ordre public, à la bonne direction des intérêts généraux et à l’active impulsion donnée aux intérêts particuliers. La différence du chiffre des deux budgets peut faire un moment illusion à un observateur superficiel ; mais, quand on se rappelle que l’Angleterre et l’Ecosse n’avaient, en 1792, que huit millions d’habitans, tandis que la France, en 1847, en avait trente-six, quand on songe que le véritable produit des impôts s’augmentait en Angleterre des taxes locales, tandis qu’en France tout était porté au budget de l’état, on trouve que la différence, au lieu d’être à l’avantage de l’Angleterre de 1792, est tout à l’avantage de la France de 1847.

Cette supériorité se manifeste surtout par l’état de la dette ; en Angleterre, les intérêts de la dette absorbaient 250 millions sur 500 millions de recettes totales ; en France, les intérêts de la dette absorbaient 210 millions sur 1,400 ; en Angleterre, un fonds d’amortissement de 25 millions était consacré à l’extinction progressive de la dette ; en France, le fonds d’amortissement était de 117 millions. Il est vrai qu’en France, depuis quelques années, l’amortissement n’était plus que nominal, par suite de l’immense extension donnée aux travaux publics ; mais, en Angleterre aussi, l’amortissement n’avait été que nominal depuis sa création en 1786, avec cette différence qu’en France le fonds d’amortissement servait à des dépenses extraordinaires qui pouvaient être considérées comme un placement à gros intérêts, tandis qu’en Angleterre il avait été absorbé par les dépenses ordinaires. Dans l’un et l’autre pays, il allait devenir libre, et pour agir en France avec une puissance près de cinq fois plus forte qu’en Angleterre. Nous avons vu cependant la France s’alarmer, en 1847, sur l’état de ses finances ; et cette inquiétude a été une des causes de la révolution de février, tandis que l’Angleterre, en 1792, était si heureuse et si fière des siennes, que sa confiance en elle-même devint en quelque sorte illimitée. Une situation qui a conduit chez nous à une révolution et, par suite, à une banqueroute sur la dette flottante et à une dépréciation énorme des fonds publics, s’est résolue chez nos voisins par une hausse progressive et par une constitution du crédit public qui a résisté à vingt ans de guerre et à vingt milliards d’emprunt. Quelle différence entre les deux peuples !

Si maintenant l’on compare ce tableau des finances anglaises, de 1784 à 1792, avec l’état des finances françaises pendant la même période, le contraste devient plus pénible encore, s’il est possible ; on trouve d’un côté ordre et richesse, de l’autre désordre et misère. Ce contraste est d’autant plus affligeant, que la France avait précédé l’Angleterre dans la voie de la bonne administration. Arrivé au ministère en 1776, Necker en était déjà sorti en 1781, quand Pitt arriva aux affaires. Dans ces cinq années, qui figurent parmi les plus belles de notre histoire nationale, le ministre français avait entrepris et en partie exécuté des améliora-