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années Au milieu des catastrophes révolutionnaires qui désolent notre époque, M. Macaulay commence par le récit d’une révolution heureuse — l’histoire d’un peuple qui n’a point lassé le bonheur. Avant 1688, l’Angleterre était une nation de cinq à six millions d’ames ; les discordes civiles l’avaient déchirée pendant un demi-siècle ; la liberté religieuse y était enchaînée par l’intolérance ; la liberté politique y était menacée par les attentats d’une royauté qui aspirait à la tyrannie ; son revenu public ne dépassait pas 40 millions de francs ; elle avait pour toute armée quelques milliers de soldats ; les humiliations que les escadres hollandaises avaient fait subir à sa marine n’étaient point lavées ; Charles II et Jacques II la courbaient comme une vassale sous la politique étrangère de Louis XIV ; elle ne possédait sur les côtes de l’Inde que quelques comptoirs de commerce, et Penn n’était point parti pour l’Amérique. Depuis 1688, quel changement et quel essor ! Elle a étendu son industrie, son commerce, sa marine, à des proportions inouies ; elle a enfanté un peuple qui dominera un jour l’Amérique entière ; quelques aventuriers lui ont conquis en Asie un empire plus vaste que celui d’Alexandre, et auquel ses généraux ajoutent chaque année des provinces aussi peuplées que des royaumes européens ; le plus grand génie des temps modernes, traînant après lui la nation la plus guerrière de l’univers, s’est brisé à vouloir ébranler sa puissance ; sa suprématie industrielle, commerciale et maritime est sortie plus assurée de ce gigantesque duel : elle est demeurée si riche, qu’outre les charges d’un empire colossal, elle porte légèrement le poids d’une dette de 20 milliards ; elle est aujourd’hui le seul pays du monde où toutes les libertés se déploient ; les glorieux débats de la raison et de l’éloquence y ont remplacé les féroces et stupides combats des guerres civiles, et, au milieu d’une activité qui féconde toutes les sèves de l’esprit comme elle remue toutes les forces de la matière, au milieu d’une littérature exubérante et d’une industrie incandescente, elle a produit des patriotes, des hommes d’état et des orateurs qui ont déjà l’auréole héroïque des grandes figures de Rome et d’Athènes. Qu’y a-t-il entre ces deux ères ? La révolution de 1688. Les prodigieux accroissemens du peuple anglais datent du jour où sa liberté a été assurée, du jour où il a définitivement acquis le droit de faire lui-même ses affaires, du jour où il a pris en quelque sorte possession de lui-même, du jour où la révolution de 1688 a été consommée. Sa haute fortune, en peuple anglais ne la doit ni au caprice des événemens, ni au génie accidentel des hommes d’état qu’il a eus à sa tête : il en est, après Dieu, le premier auteur. Depuis 1688, le peuple anglais s’est fait ce qu’il est devenu par son incorruptible bon sens, par son énergie, sa persévérance et ses vertus. Il a été grand par la liberté ; mais, si la liberté ne lui fut jamais funeste, c’est qu’il la comprit et la pratiqua toujours