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les menaces significatives des trois bandits l’avaient bientôt amené à résipiscence. Peralta connaissait de réputation les hommes auxquels il avait affaire ; c’était une guerre à mort qui lui était déclarée, et l’influence du licencié qui dirigeait ces terribles estafiers rendait la partie décidément inégale. Aussi avait-il fini par proposer un arrangement que le licencié s’était empressé d’accepter. Peralta possédait dans le petit village de Tacuba, à une lieue de Mexico, une maison de campagne dont la valeur égalait à peu près le montant de sa dette. Il consentait à la céder à don Tadeo, qui en avait pris possession à sa première sortie. Il ne me restait plus qu’à recevoir cette maison des mains du nouvel acquéreur pour que tout fût conclu. Aussi don Tadeo m’invitait-il à l’attendre de grand matin le jour suivant. Nous devions nous rendre ensemble à l’ancien domaine de mon débiteur, où il avait hâte de m’installer comme légitime propriétaire.

Le lendemain, don Tadeo était d’une exactitude ponctuelle. Il arriva chez moi, amenant avec lui deux chevaux selles, et nous partîmes immédiatement pour le village de Tacuba. J’étais assez curieux de connaître mon nouveau domaine ; et surtout d’assister aux cérémonies qui accompagnent d’ordinaire au Mexique ces prises de possession. Chemin faisant je félicitai le licencié de l’heureuse étoile qui, dans une récente occasion, avait encore une fois protégé sa vie. Je lui exprimai en même temps le regret d’avoir peut-être attiré sur sa tête la vengeance de Dionisio Peralta ; mais il me répondit que rien ne justifiait ma supposition, et que, selon toute apparence, l’homme qui avait projeté de l’assassinat était le même misérable qui avait commis le meurtre du Paseo de Bucareli. Quoi qu’il en soit, ajouta-t-il, mes soupçons sur Navaja ne m’ont pas empêché de l’employer dans votre affaire, où son zèle m’a été fort utile. À part certaines heures d’ivresse ou de vertige, ces hommes-là obéissent aveuglément à celui qui leur a fait sentir sa supériorité. Aussi, dans une lettre que Peralta m’a écrite pour m’annoncer sa soumission, n’ai-je pas lu sans regret des menaces dirigées contre le misérable même que je soupçonne d’avoir attenté à ma vie, et qui a été le plus actif des trois recors lancés aux trousses de votre débiteur. Peralta n’est guère homme à menacer en vain, et je crains de n’être que trop tôt vengé.

Tout en parlant ainsi, nous étions arrivés dans la campagne, si l’on peut appeler ainsi les plaines désertes et arides que nous traversions au galop de nos chevaux. La chaleur était étouffante, et un morne silence régnait autour de nous. Tout à coup le pas d’un cheval troubla ce silence, et nous nous vîmes rejoints par un cavalier dans lequel je n’eus pas de peine à reconnaître Pepito Rechifla. Le bandit était vêtu avec une certaine recherche, il portait une manga bleue à doublure d’indienne jaune, et montait un cheval équipé avec une élégance toute