Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/768

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crime dont je ne pusse au besoin dénoncer l’auteur à la justice. Les plus secrètes associations de malfaiteurs n’eurent pas de mystères pour moi. Vous avez peut-être entendu parler de cette bande des ensebados qui, pendant toute une année, répandit la terreur dans la capitale mexicaine. Les ensebados étaient des hommes qui, la nuit, après avoir enduit leur corps nu de suif ou d’huile, se précipitaient sur le passant attardé pour le dépouiller ou le frapper de leurs poignards. Un seul de ces bandits, aussi insaisissable qu’un reptile, pouvait échapper aux efforts d’une troupe de soldats vigoureux. Eh bien ! le chef des ensebados, je le connaissais ; il n’a pas quitté Mexico, et encore aujourd’hui je puis le nommer quand besoin sera. Je ne vous cite là qu’un exemple de ces singulières découvertes ; je pourrais vous en citer mille. Grace à cette vie de recherches incessantes et périlleuses, j’acquis une expérience qui me rendit bientôt redoutable aux misérables dont j’étais parvenu ainsi à connaître les sinistres antécédens. Souvent aussi mes jours furent en danger, et plus d’un malfaiteur tenta de punir en moi un surveillant incommode ; mais les services que ma connaissance des lois me permettait de leur rendre me firent d’autre part assez de cliens dévoués pour empêcher le retour de ces tentatives qui eussent coûté cher à mes ennemis. Aujourd’hui, je jouis à peu près impunément du prestige que j’exerce sur les plus redoutables bandits de Mexico, et, vous le voyez, j’ai là toute une armée à mes ordres pour prêter appui aux honnêtes gens qui peuvent avoir besoin de mon secours.

— C’est le cas où je me trouve, répondis-je, et je me félicite de m’être adressé à vous ; mais vous ne me dites pas si vos efforts pour retrouver l’assassin du Paseo de Bucareli ont été enfin couronnés de succès.

— Complètement. Je fus assez heureux pour retrouver l’écrivain public dont la plume avait tracé, sous la dictée d’un lâche assassin, les lignes fatales qui avaient entraîné ma jeune fiancée au Paseo. Cet assassin, l’écrivain public le connaissait, et il me mit sur ses traces. Je le découvris ; j’aurais pu le dénoncer et le livrer à la justice. C’eût été atteindre enfin le but que j’avais assigné à toute ma vie. Que vous dirai-je ? je n’en fis rien. Bien des années s’étaient passées déjà depuis le jour où avait été commis l’assassinat du Paseo, et, à force de vivre avec les méchans j’avais appris à les plaindre plutôt qu’à les haïr. J’étais parvenu même à me faire de leur perversité une arme redoutable pour terminer certaines affaires devant lesquelles la justice mexicaine s’avouait impuissante. L’assassin du Paseo est encore pour moi un de ces instrumens que je pourrais briser d’un mot, et que je préfère employer, en les dirigeant, au service de mes nombreux cliens.

Un nouveau silence succéda à ces paroles. Le tintement du glas continuait toujours.