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à te parler, et je compte sur toi. Tiens, voilà en attendant une piastre pour souper.

— Allons donc ! je n’ai jamais faim que quand je n’ai rien en poche. Quand j’ai une piastre, je la joue.

Et le drôle s’élança vers la table de jeu. L’Américain et le Mexicain se levèrent en même temps et le suivirent. Don Tadeo, délivré de ces importuns, me tira aussitôt à l’écart. — Vous voyez ces trois hommes, me dit-il en souriant. Pensez-vous qu’il y ait beaucoup de débiteurs en état de résister à de pareils recors, surtout quand il s’agit d’une créance cédée au licencié don Tadeo ? Vous m’avez compris sans doute, quand j’ai insisté devant vous sur cette cession : mon nom est une arme de plus à employer dans cette guerre périlleuse ; mais, la guerre terminée, les bénéfices seront pour vous, moins les frais de la campagne, que vous me permettrez de revendiquer, ainsi que les honneurs de la victoire.

— Mais comment joindrez-vous ce Peralta ? Jusqu’ici je n’ai pu trouver la moindre de ses traces.

— Cela me regarde et cela regarde aussi les trois drôles que je vous ai fait connaître ce soir. Don Dionisio Peralta est une mauvaise paie, mais une fort bonne lame. Enfin nous verrons.

Je rappelai alors à don Tadeo qu’il avait paru désirer causer plus longuement de mon affaire, et je lui offris de satisfaire sa curiosité à cet égard. Au fond, je ne cherchais qu’une occasion de connaître et d’observer plus à fond ce singulier personnage. Don Tadeo sembla deviner mon intention secrète. — Il est dix heures et demie, me répondit-il en regardant à sa montre. Je suis à vos ordres jusqu’à minuit. Montons sur l’azotea (terrasse), qui est déserte à cette heure. La nuit est belle, et vous pourrez m’expliquer votre affaire sans témoins.


III

Arrivés sur la terrasse, nous restâmes d’abord livrés pendant quelques instans à une contemplation silencieuse. À nos pieds s’étendait l’ancienne cité des Aztèques avec ses dômes, ses clochers innombrables, capricieusement éclairés par la lune. Tout près de nous, la cathédrale projetait sur l’immense Plaza Mayor la double et gigantesque silhouette de ses tours. Plus loin, le Parian[1] élevait sa masse noire au milieu des espaces blanchis par les clartés nocturnes, comme un écueil sombre au milieu des flots éblouissans de la mer. Plus loin encore, on reconnaissait l’élégante coupole de Santa-Teresa, les cinq

  1. Vieil édifice où se tient un bazar qui a quelque analogie avec le marché du Temple à Paris.