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— Vous êtes Espagnol ?

— Oui, sans doute, et avant d’être légiste, j’ai été ce qu’on nomme un gentilhomme ouragan, — uracan y calavera. Vous voyez en moi un étudiant de Salamanque, de cette belle ville dans laquelle on fit, il a bien des années, la glose suivante :

En Salamanca la tuna
Anduve marzo y abril ;
Ninas he visto mas de mil
Pero comotu, ninguna[1].


Moi aussi j’ai fait des quatrains dans cette joyeuse ville, j’en ai même chanté, et c’est à la suite d’une sérénade interrompue malheureusement par un duel suivi de mort d’homme que je me suis vu forcé de venir chercher fortune à la Nouvelle-Espagne. J’avais, pour réussir ici, deux qualités précieuses et qui s’allient rarement : je possédais à merveille la jurisprudence et l’escrime. Et vous-même vous avez pu reconnaître tout à l’heure que je n’ai rien perdu de mon ancienne humeur de spadassin ; mais j’y pense, seigneur cavalier, je vous dois un dédommagement pour ma méprise de tout à l’heure. Il s’en est peu fallu vraiment que je ne vous donnasse de mon épée au travers du corps. Permettez-moi de vous offrir, pour me faire pardonner cette brusque incartade, une infusion d’eau de roses ou du refino de Catalogne.

Et sans me laisser le temps de placer une parole, le licencié m’entraîna vers une table où nous nous assîmes. Mon étonnement croissait à mesure que je faisais plus ample connaissance avec ce singulier personnage. Ce ne fut qu’après qu’on nous eut servis que don Tadeo consentit à m’entendre expliquer mon affaire, ce que je fis le plus brièvement et le plus clairement possible.

— C’est bien, dit-il ; il s’agit d’un débiteur que vous n’avez pu retrouver, mais vous savez au moins son nom ?

— Ah ! c’est un nom qui semble inspirer à vos confrères une bien vive sympathie, car aucun n’ose se charger des poursuites.

— Voyons donc ce nom terrible. Je suis curieux de savoir s’il produira le même effet sur moi.

— Je vous le dirai tout bas. Mon débiteur se nomme don Dionisio Peralta.

Le licencié ne sourcilla pas. — Et combien vous doit-il ?

— Quatorze cents piastres.

— Tenez, me dit après un moment de silence don Tadeo, nous allons monter sur la terrasse de cette maison, et là nous causerons plus à

  1. « À Salamanque, j’ai couru le guilledou dans les mois de mars et d’avril. De jeunes filles, j’en ai vu plus de mille, mais aucune qui te valût. »