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qu’au bout de quelques instans une autre rue qui coupe celle-ci à angle droit et forme avec elle un sombre carrefour. Là, comme dans les cavernes des bords de la mer, on n’entend plus aucun bruit du dehors, si ce n’est un murmure sourd et triste qui peut ressembler aussi bien à la plainte des vagues agitées qu’au tumulte d’une cité populeuse. Quelques boutiques de cordiers, des portes massives hermétiquement fermées, çà et là quelques couloirs obscurs entr’ouverts, rappellent seuls qu’on est dans une ville et au milieu de maisons habitées. Les murs suintent une humidité perpétuelle, et ce n’est guère qu’à midi, à l’époque du solstice d’été, qu’un rayon furtif tombe d’aplomb du ciel embrasé dans l’impasse de l’Arcade. Alors un peu de vie nouvelle y renaît jusqu’au moment où, le soleil regagnant le tropique opposé, tout y retombe dans le silence et dans les ténèbres.

C’était donc là, dans une de ces maisons sinistres, que je devais rencontrer l’homme qui seul, m’avait-on assuré, pouvait terminer une affaire devant laquelle avaient reculé tous les légistes de Mexico. Je m’arrêtai quelques instans à contempler avec surprise cet emplacement si singulièrement choisi pour un cabinet d’homme de loi ; mais l’épisode dont je venais d’être témoin ne m’avait-il pas déjà suffisamment préparé aux excentricités de don Tadeo ? Comment expliquer son ton d’aisance familier avec le misérable qu’il avait chargé sous mes yeux du message destiné à Pepito Rechifia ? Comment expliquer les relations qui semblaient exister entre ce bandit et le licencié ? Cette étrange intimité d’un légiste avec des assassins et des voleurs me paraissait, au premier abord, d’assez mauvais augure. Pourtant l’espoir d’obtenir enfin une solution depuis trop long-temps ajournée me décida, et je quittai le Calejon del Arco en me promettant d’y revenir deux heures plus tard.


II

La nuit était venue : c’était une de ces nuits de mai ou les clartés de la lune prêtent à Mexico un aspect magique. De molles lueurs tombaient du ciel sur les clochers peints des églises et sur les façades coloriées des monumens. Le clair de lune, sous les tropiques, étale des climats brumeux. Sur la Plaza Mayor, la foule n’était plus si épaisse qu’avant le coucher du soleil, mais elle était plus calme et plus recueillie. Les promeneurs ne se parlaient qu’à voix basse, comme s’ils eussent craint de troubler le silence de cette nuit sereine. Des bruits d’éventails agités, de robes de soie froissées, quelquefois un éclat de rire féminin mélodieux et pur comme la vibration d’un timbre de cristal, quelquefois aussi les tintemens d’une cloche lointaine, venaient seuls interrompre ce grand silence. Les femmes voilées, les hommes enveloppés de manteaux, glissaient,