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arpentant à grands pas cette espèce de cloître, officiers et bourgeois s’entretenaient des révolutions faites ou à faire, jusqu’à l’heure où les galeries presque désertes servaient d’asile à de plus doux mystères et n’entendaient plus résonner sous leurs voûtes silencieuses que le murmure étouffé de quelque entretien d’amour.

J’errais depuis quelque temps déjà sous les Arcades des Marchands, lorsque la vue d’une échoppe d’écrivain public vint me rappeler le but de ma promenade. Parmi les industriels des Portales, les écrivains publics forment une corporation considérable. Il ne faut pas oublier qu’au Mexique, l’instruction primaire est encore assez généralement négligée, et que les fonctions d’écrivain public, au milieu de cette population illettrée, n’ont rien perdu de leur primitive, importance. La plume docile des évangélistes (c’est ainsi qu’on les appelle) est requise pour mille commissions plus ou moins délicates, et souvent assez équivoques, depuis la lettre d’amour la plus banale jusqu’au billet que le bravo écrit à sa victime pour l’attirer dans quelque ténébreux guet-apens. L’évangéliste que j’avais remarqué parmi ses nombreux confrères était un homme de petite taille, au crâne presque chauve, à peine entouré de quelques cheveux grisonnans. Ce qui l’avait surtout désigné à mon attention, c’était l’expression de jovialité sardonique qui animait cette physionomie d’ailleurs insignifiante. J’allais me diriger vers cet homme pour lui demander des renseignemens sur don Tadeo, lorsqu’un incident, qui se prolongea au-delà de mon attente, vint me contraindre inopinément à reprendre mon rôle d’observateur taciturne. Une jeune fille s’était approchée de l’échoppe de l’évangéliste. Les cheveux ondés qui s’échappaient en longues nattes tressées de son rebozo entr’ouvert, son teint légèrement basané, ses brunes épaules que sa chemise de toile fine, bordée de dentelles, laissait presque nues, sa taille svelte que n’avait déformée aucun corset, et surtout les trois jupons de couleurs tranchées qui tombaient à plis droits sur ses hanches onduleuses, tout décelait dans la jeune cliente de l’évangéliste le type le plus pur de la china[1].

— Tio Luquillas ! dit la jeune fille.

— Qu’y a-t-il ? répondit l’évangéliste.

— J’ai besoin de vous.

— Je m’en doute bien, puisque vous m’appelez, reprit Tio Luquillas, et, croyant avoir deviné l’objet du message qu’on allait lui dicter, il déplia avec complaisance une feuille de vélin couleur de rose, glace et enjolivé de cupidons gauffrés ; mais la jeune china fit de sa main brune et mignonne un geste d’impatience.

— Que voulez-vous, dit-elle, qu’un homme qui va mourir fasse de votre papier rose ?

  1. La china est à Mexico ce qu’est à Madrid la manola, et à Paris la grisette.