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rappelle les relations que j’eus avec un des personnages les plus étranges qu’il m’ait été donné de connaître au Mexique. Ces relations furent bien courtes, mais le récit qu’on va lire fera comprendre l’impression profonde qu’elles m’ont laissée. Je n’ai pas besoin d’ajouter que, pour paraître romanesque, ce récit n’en est pas moins réel. Au Mexique, il ne faut pas l’oublier, le roman est dans les mœurs mêmes, et celui qui veut retracer fidèlement ces mœurs exceptionnelles s’expose à passer pour un conteur peu scrupuleux, quand il n’est que simple historien.


I

Au commencement de l’année 1835, je me trouvais à Mexico, aux prises avec une affaire assez épineuse : il s’agissait du recouvrement fort problématique d’une créance assez considérable sur un débiteur dont on ne pouvait retrouver la moindre trace. Les intérêts qui m’étaient confiés exigeaient que l’affaire fût conduite énergiquement, et je m’étais adressé en conséquence à plusieurs hommes de loi connus pour n’intervenir jamais en vain dans ces cas difficiles. Tous avaient commencé par me promettre leur concours, mais, dès que j’avais nommé le débiteur introuvable (il s’appelait don Dionisio Peralta), tous s’étaient récriés et avaient opposé à mes justes réclamations les plus étranges faux-fuyans. Celui-ci ne se serait jamais pardonné de causer le moindre chagrin à un aussi galant homme que le seigneur Peralta ; celui-là lui était attaché par un compadrazgo[1] de vieille date ; le troisième m’objectait avec attendrissement les souvenirs d’une étroite liaison d’enfance. Un quatrième fut plus franc que tous les autres, et me laissa entrevoir qu’au fond de tous ces scrupules d’amitié il y avait la crainte de quelque estocade, procédé que le seigneur Peralta avait sans doute mis plus d’une fois en usage pour se débarrasser de créanciers trop pressans. — Je ne vois ajouta-t-il, que le licencié don Tadeo Cristobal qui puisse se charger de votre affaire. Il a un cœur de roc et une main de fer. C’est l’homme qu’il vous faut. — Je courus aussitôt à la calle de los Batanes, où demeurait, m’avait-on dit, le licencié don Tadeo ; mais là m’attendait un nouveau mécompte. Don Tadeo venait de quitter son logement, et nul ne put ou ne voulut me dire où il avait élu domicile. Découragé et abattu au terme d’une journée tout entière passée en courses inutiles, je me promenais assez tristement sous les Arcades des Marchands (Portales de pas Mercaderes), près de la grande place de Mexico. J’avais résolu, en désespoir de cause, de demander quelques renseignemens sur don Tadeo aux nombreux écrivains publics dont les échoppes situées sous ces galeries sont autant de bureaux de renseignemens

  1. Compérage ou parrainage