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— Qu’espères-tu donc ? répliquait M. Levrault, qui ne comprenait rien aux hésitations de sa fille. Un rejeton des Baudouin et des Lusignan ! Crois-tu qu’il y en ait à remuer à la pelle ? D’ailleurs, nous avons exploré tous les châteaux des environs, et, à moins que tu ne veuilles épouser le comte de Kerlandec ou le chevalier de Barbanpré, je ne vois pas trop sur qui tu pourrais arrêter ton choix.

— Il faut attendre, répétait Laure avec fermeté ; rien ne presse. M. Gaspard nous a dit lui-même que les plus grandes familles de la contrée sont en ce moment absentes de leurs terres. Peut-être n’en serons-nous pas toujours réduits à la société du vicomte.

— Ma foi, ma chère, tu es bien difficile. Un grand nom, une grande influence, une grande passion par-dessus le marché ! Jolibois avait raison, ce Montflanquin est un caractère antique. On ne l’accusera pas, celui-là, d’avoir couru après notre argent. Je l’observe, sans qu’il s’en doute ; je sais ce qui se passe en lui. Il avait juré de rester fidèle à cette malheureuse Chanteplure. Il t’aime à son cœur défendant. Il en a des remords, il s’en accuse, il en enrage ; mais il t’aime, c’est plus fort que lui. Ainsi, malgré les millions de ton père, tu inspires un sentiment romanesque, et tu n’es pas contente ; tu peux être épousée par amour, et cela ne te suffit pas. Grand merci ! tâche de trouver mieux ; je t’en souhaite.

Dans ces dernières paroles de M. Levrault, il y avait bien quelque chose qui chatouillait agréablement l’orgueil de sa fille. Laure n’avait pas la prétention d’être une héroïne de roman. C’était, je l’ai déjà dit, un esprit très calme, et qui avait toujours envisagé le mariage comme une affaire d’ambition, comme une question de libre échange. Cependant il ne lui déplaisait pas d’inspirer une passion désintéressée, et de se sentir aimée pour elle-même. Ses amies de pension ne s’étaient pas fait faute de lui répéter qu’elle trouverait peut-être quelque petit hobereau qui consentirait à l’épouser pour ses écus ; elle se figurait leur dépit, si elles apprenaient jamais qu’un gentilhomme de haut lignage l’avait épousée par amour. La passion et le désintéressement du vicomte ne pouvaient être mis en doute, et Laure avait assez de raison pour se dire qu’une occasion pareille ne se présente pas deux fois dans la destinée d’une jeune fille affligée d’un million de dot. Gaspard n’était pas beau, mais ses armoiries étaient belles. Laure n’aimait pas Gaspard, mais c’était là le dernier des soucis de Laure. Il n’était jamais entré dans son esprit qu’elle dût aimer son mari. Ce qui la chagrinait, c’est que Gaspard n’était que vicomte ; elle eût voulu tout au moins un marquis. Le titre de vicomtesse n’était pourtant pas à dédaigner, quand on s’appelait Mlle Levrault, et qu’on se souvenait d’avoir vu son père auner du drap rue des Bourdonnais. Un jour, en se promenant à cheval, elle s’était arrêtée devant le pigeonnier de Montflanquin. Sa vanité sai-