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bile, les eût dirigés à bon escient vers des parages où il n’avait pas de concurrence à redouter, soit qu’en réalité le bois dont on fait des gendres manquât absolument dans cette partie de la Bretagne, toujours est-il que Laure et son père n’avaient pas découvert un seul gentilhomme à marier. En dépit de ses trois millions, M. Levrault s’était vu partout accueilli avec cette haute politesse qui peut passer pour du dédain ; des cartes satinées, timbrées d’un casque ou d’une couronne, avaient répondu à toutes ses avances. Il avait beau multiplier autour de lui les séductions de la richesse, Montflanquin, Barbanpré, Kerlandec, étaient toute sa cour ; après deux mois de séjour sous le ciel de la vieille Armorique, il ne voyait se presser en foule autour de lui que Kerlandec, Barbanpré, Montflanquin. De ces trois courtisans, le vicomte était le plus assidu ; il consolait M. Levrault de toutes ses déceptions.

Gaspard, au bout de trois semaines, avait déclaré qu’il n’irait pas à Chantilly. Les courses étaient ajournées à la saison d’automne. Gaspard ne quittait plus la Trélade. Il arrivait le matin, et ne s’en allait que le soir. On devait lui savoir gré de n’avoir pas encore apporté ses pantoufles. Il avait fait de M. Levrault sa propriété, son bien, une chose à lui. C’était lui qui dirigeait tout ; rien ne se faisait que par lui. Tous les soirs, avant de se retirer, il dressait lui-même le programme des excursions du lendemain. Il était de toutes les parties et de toutes les promenades. Il eût été tout aussi facile de voir M. Levrault sans son ombre que de le rencontrer sans Gaspard. Vif, alerte, dispos, toujours en belle humeur, le vicomte avait le secret de remplir la Trélade de mouvement, de bruit et de gaieté. Il donnait à M. Levrault des leçons d’équitation, lui racontait des histoires de la cour, caressait sa sottise, encourageait toutes ses manies. Il avait dressé pour Laure un joli cheval qui s’agenouillait devant elle, et la suivait comme un mouton bridé. Chaque jour, il inventait une distraction nouvelle. Bref, après avoir commencé par se rendre utile, il avait fini par devenir indispensable. M. Levrault, qui pensait avoir trouvé la pie au nid, se préoccupait à peine des mécomptes qu’il avait essuyés. Qu’était-il venu chercher en Bretagne ? Un gendre qui lui frayât le chemin des honneurs et des dignités. Ce gendre, il l’avait sous la main. Gaspard réunissait toutes les conditions requises : un grand nom pour Laure, pour M. Levrault une grande influence. Il était le gendre rêvé. Malheureusement, Gaspard ne paraissait pas entendre de cette oreille. Il n’avait pas d’ambition, et ne parlait de sa pauvreté qu’avec amour ; à ses yeux, l’opulence était sans attraits. À part quelques soupirs étouffés, quelques regards brûlans qui ne s’adressaient peut-être qu’à l’image de Mlle de Chanteplure, on ne pouvait guère supposer que son cœur fût épris de Laure. Il répétait volontiers que sa vie était close,