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tie de mauvais aloi, svelte, pétulant, l’air hâbleur, tenant du clown et tranchant du marquis, on s’étonnait de le voir en Bretagne ; on l’eût rencontré sans surprise à Paris, dans un de ces groupes de gentilshommes émérites qui, à cette époque, commentaient librement la devise : Noblesse oblige, et gagnaient leurs éperons sur les champs de bataille de la bouillotte et du lansquenet. Il fit, en entrant, trois courbettes en guise de salut ; puis, s’adressant tour à tour à M. Levrault et à sa fille :

— Mille pardons, monsieur ; mille excuses, mademoiselle. Vous m’avez attendu : j’ai manqué à tous mes devoirs. Je suis déshonoré ; je ne me relèverai jamais de là. Et pourtant, foi de gentilhomme, je n’ai pas pu faire autrement. J’étais parti de Montflanquin à midi. Je venais, j’accourais, quand je rencontre au détour d’une haie le comte de Kerlandec. Vous savez la nouvelle ? dit-il en m’abordant d’un air radieux ; M. Levrault est arrivé.

— Monsieur le vicomte, dit M. Levrault, veuillez donc vous asseoir.

— À cinq cents pas de là, poursuivit le vicomte en se jetant dans un fauteuil, je suis accosté par le vieux chevalier de Barbanpré, un descendant de Godefroy de Bouillon par les femmes. — Eh bien ! me dit-il avec effusion, M. Levrault est arrivé. — Je le sais, lui dis-je, et je vais le voir de ce pas. Là-dessus, je veux m’esquiver : impossible ! Le vieux chevalier me retient par un bouton de mon habit, et je m’oublie à parler de vous.

— Monsieur le vicomte, dit M. Levrault, n’avez-vous pas besoin de vous rafraîchir ?

— Je vous rends grace. Trois cents pas plus loin, je me trouve nez à nez avec la marquise de Francastel, qui me dit : Vous savez ? Il n’est bruit que de cela dans tout le pays. M. Levrault est arrivé hier soir à la Trélade, en chaise de poste attelée de quatre chevaux. Qu’il sache bien que je serais heureuse de lui faire fête ainsi qu’à sa fille, si je n’étais obligée de partir demain pour Paris.

— Monsieur le vicomte, dit M. Levrault, ne prendriez-vous pas bien un verre de vin de Chypre ou d’Alicante ?

— Rien, en vérité. Je dus m’arrêter encore plus d’une heure pour causer de vous avec la marquise, qui finit par m’emmener dîner à son château, où je retrouvai le comte de Kerlandec et le chevalier de Barbanpré. Il ne fut question que de votre arrivée. Le dîner s’achevait à peine, que je m’échappai, laissant autant d’envieux que de convives, et enfin, monsieur, me voici, honteux, confus, mais heureux de vous voir et assez téméraire pour oser compter sur votre indulgence.

— Monsieur le vicomte, vous n’avez pas besoin de pardon, dit M. Levrault, dont la colère venait de s’éteindre comme un feu de chaume