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SACS ET PARCHEMINS.

la mémoire est si richement ornée, ne rencontrera pas sans plaisir et sans émotion, à quelques pas de votre parc, un descendant de Godefroy de Bouillon, noble vieillard dont la conversation est un trésor de souvenirs. Plus loin, vous trouverez le dernier rejeton d’une race qui, par ses alliances, se rattache aux Baudouin et aux Lusignan : c’est le vicomte Gaspard de Montflanquin. Jeune, beau, chevaleresque, trop désintéressé peut-être, il n’a qu’à vouloir, qu’à étendre la main : la nouvelle cour, fière de l’avoir rallié, fera tout pour lui. Il porte d’argent au lion léopardé de sable, armé, lampassé et couronné de gueules, à la queue nouée, fourchue et passée en sautoir, abaissé sous un chef d’azur à trois besans d’or. Le vicomte de Montflanquin vous servira de guide dans vos excursions et dans le choix de vos amitiés. Venez donc, hâtez-vous. Venez sous les ombrages de la Trélade, c’est le nom de votre château, oublier les nobles fatigues qui ont rempli votre carrière. Croyez bien que j’userai avec modération des petites entrées que vous m’offrez si gracieusement : je sais trop la distance qui nous sépare ; mais je ne renonce pas au plaisir de courir un cerf avec vous. Dans un an, si vous vous décidez à vous établir dans notre Bretagne, j’espère vous compter au nombre de mes cliens : votre nom sera la gloire de mon étude.

« Agréez, monsieur, l’assurance de ma plus haute considération,

« Jolibois. »

Le même jour, maître Jolibois écrivait :

« Monsieur le vicomte,

« L’intérêt que vous m’inspirez me décide à faire auprès de vous une démarche d’une nature assez délicate : vous apprécierez, j’en suis sûr, les motifs de ma résolution. Je n’ai jamais contemplé sans tristesse les murs lézardés de votre château. Plus d’une fois vous m’avez rappelé le sir de Ravenswood ; je ne vous ai jamais rencontré sans rêver, en vous quittant, aux moyens de relever votre maison. Enfin, Dieu soit loué, l’occasion se présente, c’est à vous de la saisir ; il dépend de vous de redorer votre blason, de racheter et de réunir les lambeaux dispersés de votre héritage. Un bourgeois-gentilhomme, un M. Levrault, qui a gagné trois millions à vendre du drap, se propose d’acheter une propriété en Bretagne. Avant de se décider, il désire étudier le pays, et vient de louer pour un an la Trélade. Dans quinze jours au plus tard, il sera ici. Je le connais de longue date, j’ai vu poindre son ambition. Il veut se décrasser et trouver un gendre qui lui serve tout à la fois de passeport et de marchepied. De son côté, Mlle Levrault est assez impatiente d’échanger le nom roturier de son père contre un nom qui lui ouvre les portes du monde et de la cour. Vous n’avez qu’à vous présenter, et avant trois mois vous serez maître de la place. Je sens