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tentative malheureuse d’un homme de mérite qui est fort capable de venger sa défaite.

La république française, dans sa courte existence, a déjà réalisé l’idéal que Platon avait rêvé encore pour la sienne : elle a mis à la porte, sinon tous les poètes, au moins tous les artistes qu’elle possédait et qui faisaient l’ornement de Paris. Londres regorge de chanteurs, de pianistes, de violonistes, de comédiens français qui y sont allés chercher un refuge contre la liberté démocratique et sociale dont jouit leur pays. On y chante dans toutes les langues de l’Europe, excepté en anglais ; c’est une manière délicate de reconnaître l’hospitalité qu’on accorde aux beaux-arts sur les bords de la Tamise. Comme il faut qu’il y ait toujours à Londres une individualité brillante qui, à un titre ou à un autre, occupe les loisirs de la fashion ; et comme d’ailleurs l’étoile de Jenny Lind commence à pâlir, grace à ses nombreux projets d’hyménée et à ses fuites artistement combinées pour l’effet dramatique M. Lumley, l’habile directeur du Théâtre de la Reine, s’est vu obligé de chercher un nouvel objet qui pût réveiller l’enthousiasme fatigué du peuple britannique. Apprenant qu’au nombre des victimes qu’ont faites les révolutions de l’Allemagne se trouvait un ancien ambassadeur dont la femme avait été jadis une des plus célèbres cantatrices de l’Europe, M. Lumley s’est transporté à Berlin et a engagé, au poids de l’or, Mme la comtesse de Rossi, qui n’est autre que Mlle Sontag. Elle a débuté dans la Linda di Chamouni de Donizetti avec un immense succès. La reine, les princes et les ambassadeurs ont accueilli Mlle Sontag avec une distinction toute particulière. Il paraît que sa voix est aussi fraîche et limpide que lorsqu’elle quitta la scène en 1830, sacrifiant ainsi une royauté charmante pour suivre le penchant de son cœur. Le Prophète de M. Meyerbeer, traduit en langue italienne, a été représenté au théâtre de Covent-Garden avec un très grand succès. Cette belle et difficile partition a été apprise et mise en scène dans l’espace de deux mois. Mario joue et chante le rôle de Jean de Leyde avec plus de grace que de force. Quant à Mme Viardot, qui représente le personnage de Fidès, elle est à Londres ce que nous l’avons vue à Paris, une cantatrice intelligente dont la voix s’est usée avant le temps et dont le goût pourrait être plus châtié.

Telles sont les nouveautés musicales qui se sont produites depuis quelques mois. Les, théâtres lyriques de l’Italie et de l’Allemagne sont muets devant les révolutions qui grondent encore. Au milieu de cette grande conflagration de la société européenne, la conduite des artistes en général a été honorable et digne. Si l’on excepte quelques médiocrités bruyantes qui, ne pouvant se distinguer par le mérite de leurs œuvres, ont recherché sur les barricades ou dans les clubs de tristes ovations, les artistes sont restés fidèles à l’ordre et à la civilisation, qui trouveront toujours en eux leurs plus charmans interprètes.

P. S.


V. de Mars.