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de haine contre l’Espagne, complicité favorisée par le traité même qui avait sur objet de la prévenir.

Aux termes de ce traité, l’empereur de Maroc ne répond pas des faits et gestes des Maures du Riff ; il est simplement tenu de concourir, le cas échéant, avec l’Espagne, à la répression de ces dangereux voisins, et l’on comprend quelle marge laissent à la duplicité marocaine ces clauses élastiques. À l’abri de son irresponsabilité officielle, l’empereur encourage et favorise secrètement les entreprises des Maures du Riff, et quand, pour obéir à la lettre du traité, il fait mine de les réprimer, ceux-ci feignent de se soumettre, et éludent ainsi tout conflit avec les troupes marocaines, sauf à recommencer aussitôt que ces troupes ont disparu. Aujourd’hui, cette situation est devenue intolérable. Les Maures du Riff, qui jusqu’ici se bornaient à quelques fusillades isolées contre les avant-postes espagnols, viennent de se présenter pour la première fois devant Melilla avec de l’artillerie, et leurs canons, placés et dirigés avec une remarquable habileté, ont déjà commis des dégâts considérables dans la place.

Au moment où nous écrivons, des renforts ont déjà dû franchir le détroit. Le gouvernement espagnol adresse d’autre part à l’empereur des sommations énergiques, et si celui-ci continue de se retrancher dans ce système de feinte impuissante, d’inertie calculée, qui caractérise la diplomatie marocaine, et auquel la France, en des circonstances analogues, dut récemment répondre par une sévère leçon, l’Espagne poursuivra l’imitation jusqu’au bout. Pendant qu’une colonne espagnole ravagera le Riff, une escadrille ira bombarder Tanger.

L’analogie sera parfaite dans les moindres détails. Les difficultés qui provoquèrent notre expédition du Maroc n’étaient pas exemptes, on s’en souvient de toute influence européenne, et la même influence se révèle ici : ce sont des canons anglais qui battent en brèche les murs de Melilla. Nous n’entendons pas accuser le cabinet de Londres, malgré l’hostilité peu déguisée d’un de ses membres contre l’Espagne ; mais, qui l’ignore ? il existe en Angleterre au noyau d’intérêts et d’opinions qui convoite avec un inexorable parti pris l’accaparement de la Méditerranée, et dont l’action, pour s’exercer d’une façon extra-officielle, n’est pas moins puissante et continue. Or, les possessions espagnoles du détroit sont l’une des clés de la Méditerranée. Le jour où l’Espagne redeviendrait une puissance maritime de premier ordre, ou même de second ordre, Ceuta pourrait, à un moment donné, neutraliser Gibraltar.

La marine espagnole est encore loin de ce degré d’importance ; mais elle y marche beaucoup plus rapidement qu’on ne croit. Depuis que la reconnaissance des républiques hispano-américaines par le gouvernement de Madrid a fait disparaître les corsaires qui assaillaient sur ces parages le pavillon espagnol ; depuis qu’a cessé surtout l’inintelligent monopole qui isolait commercialement Cuba, cette marine, qu’on s’obstine à considérer comme anéantie, s’est sensiblement relevée. L’Espagne compte déjà soixante mille matelots. Deux causes vont accélérer son développement naval : d’une part, les États-Unis viennent d’exempter de tout droit de tonnage les navires espagnols arrivant sur lest ou avec des chargemens de sucre brut de Cuba et de Puerto-Rico ; d’autre part, la réforme des tarifs, en supprimant la contrebande, jusqu’ici en possession d’une bonne moitié des importations espagnoles, va rendre aux transports nautiques un grand nombre de produits qui, par leur nature ou leur provenance