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De violentes clameurs s’élevèrent contre le budget. Pitt n’en tint aucun compte. Pour payer l’intérêt du nouvel emprunt et remplacer la taxe des boutiques, il proposa une nouvelle série de taxes additionnelles sur les journaux, les assurances, les legs, les cartes à jouer, les dés, les chevaux, les voitures, etc ; de plus, il ne craignit pas de provoquer une nouvelle mesure qui devait augmenter le revenu, mais qui ne pouvait manquer de soulever une vive résistance. En dépit des répugnances nationales, il avait déjà beaucoup accru le domaine de l’excise en lui soumettant les vins et autres spiritueux ; il proposa de l’accroître encore en y joignant le tabac.

Quand il développa les motifs de sa proposition, il fit remarquer que le tabac était devenu le principal aliment de la contrebande depuis les règlemens qu’on avait faits dans les sessions précédentes pour les thés, les vins et les liqueurs. Le très bas prix de cette denrée, comparé avec le montant des droits, était un encouragement irrésistible au commerce interlope. Plus de la moitié des tabacs consommés dans le royaume entrait en contrebande. Pitt ajouta qu’il ne connaissait que deux moyens d’empêcher cet abus ; le premier était de diminuer tellement les droits qu’on ôtât au contrebandier tout espoir de gain ; le second était de transporter la plus grande partie des droits sur le tabac au régime de l’excise. Le premier moyen lui paraissant trop hasardeux, il préférait le second. Il proposait donc d’établir deux droits sur chaque livre de tabac, l’un de 6 pence perçus par la douane, l’autre de 9 pence perçus par l’excise. L’exemple de ce qui s’était passé pour le vin lui paraissait décisif en faveur de cette mesure. Quand il avait été question de changer l’impôt sur le vin, la barre de la chambre était encombrée de marchands qui assuraient qu’ils ne pourraient faire leur commerce avec de telles restrictions. La chambre n’avait tenu aucun compte de ces plaintes, et elle avait eu raison.

Un soulèvement formidable répondit à cette proposition. La presse éclata en invectives ; les murs de la capitale se couvrirent de placards menaçans. Plusieurs villes de commerce adressèrent au parlement les pétitions d’usage. La Cité de Londres elle-même se laissa gagner, et le conseil municipal fit une démonstration vigoureuse contre le bill. À la chambre des communes, les aldermen se mirent à la tête de la résistance. Dans le sein des comités, d’innombrables amendemens furent proposés, quelques-uns même furent accueillis. Toute cette agitation était de part et d’autre hors de proportion avec la question réelle, car il ne s’agissait, même en admettant les calculs de Pitt, que d’une augmentation de revenu de 300,000 livres sterling, et le tabac n’était pas une de ces denrées de première nécessité dont le régime intéressât la masse des consommateurs. Quand on se rappelait avec quelle facilité avaient passé, quelques années auparavant, des propositions sembla-