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la terre ne suffirait pas pour inscrire ses devoirs ; s’il reconnaît que le principe humain n’est qu’un mensonge, que l’idéal est la seule chose éternelle et qui ne change pas ; si cette liberté dont il est si fier n’est pour lui qu’une obligation, qu’une faculté dont l’usage entraîne une responsabilité terrible ; si ce mot d’égalité qu’il prononce avec tant d’orgueil est plus pour lui que l’égalité de la faiblesse, de la soumission aux lois éternelles qu’il partage avec tous ses frères ; si le mot de fraternité ne signifie plus que solidarité dans la souffrance, s’il n’est pas le roi de la terre, mais son tenancier, et si par hasard il se sent, à un degré plus ou moins éloigné, responsable de tous les faits qui s’y accomplissent, alors il aura fait certainement l’expérience la plus grande qu’il puisse faire, celle de savoir si décidément il est homme ou Dieu. Supposez par l’imagination le jour où il reviendra à son ancienne et véritable nature. Ah ! quel dépit d’une immense duperie chez tous les fous de la terre, et chez tous les sages quels actes de contrition, quel repentir !

Vous vous rappelez la vieille histoire des Titans. Ils n’étaient que les fils de la terre, un monstrueux mélange de force, de folie et d’audace ; ils voulurent détrôner les dieux. Il y avait parmi eux Briarée aux cent bras, aussi puissant à lui seul que toutes les machines des usines des deux continens ; il y avait Encelade, qui respirait le feu, aussi terrible dans ses mouvemens que le droit d’insurrection lui-même ; il y avait Typhon, dont la tête touchait au ciel, aussi amoureux de son moi et maudissant les dieux avec autant d’audace que M. Proudhon. Ce fut, racontent les poètes anciens, une mêlée terrible. Pendant plusieurs jours, les dieux semblèrent reculer ; les cris de triomphe retentissaient déjà dans le camp des géans ; par le feu et la fumée du combat, ils étaient parvenus à obscurcir le ciel et à le dérober à la vue des hommes, — lorsque tout à coup les ténèbres deviennent plus épaisses, le tonnerre gronde, les géans tombent foudroyés, et l’éternelle lumière qu’ils avaient obscurcie brille comme auparavant !

Émile Montégut.